Interview de Claudia Leuly-Joncart, neuropsychologue par le Dr Chatot-Henry, gériatre.
Qu’est-ce qu’un senior ?
Le mot latin senior signifie « personne plus âgée » et est employé surtout en entreprise. Si, dans les années 80, un employé était envoyé en préretraite à l’âge de 55 ans pour promouvoir l’emploi des jeunes, de nos jours, l’âge légal de la retraite a été repoussé pour remédier au problème du déficit des caisses de retraite. Aujourd’hui, un senior bénéficie d’une image plus jeune, qu’il soit encore actif par ses engagements ou son pouvoir économique.
A quel âge devient-on senior ?
La notion de « senior » est parfois classifiée selon le niveau social ou le contexte. Pour l’administration, « 50 ans » représentent un cap fatidique. Dans l’entreprise, dès 45 ans que le terme s’applique. Le monde du sport professionnel désigne l’athlète comme étant un senior à l’âge de 23 ans ! Pour l’État, la soixantaine marque l’âge de la retraite (aides sociales). Dans un contexte médical, à partir de 70 ans la désignation « senior » est employée car les problèmes de santé apparaissent.
Zoom sur les capacités cognitives des seniors
Apprend-on différemment parce que l’on est senior ?
Trois « saisons » pour le cerveau ont été décrites par E. Goldberg, professeur et chercheur en neurologie :
La saison du « développement »
Constitution des principales aptitudes cognitives. Elle va de la naissance jusqu’à la troisième décennie. Les structures neuronales très utilisées se renforcent, celles qui sont sous utilisées « s’élaguent ». Cette période est celle des apprentissages fondamentaux, de la constitution des capacités mentales, et en définitive de la formation de l’identité individuelle.
La saison du « cerveau mature »
L’accent est alors mis sur la contribution au monde de l’individu. Elle se caractérise par « une moindre mobilité neuronale de l’individu », et « une plus grande stabilité des structures cérébrales ».
La saison du « vieillissement »
Elle correspond à un certain déclin des facultés cérébrales. Le volume du cerveau diminue d’environ 2% tous les 10 ans à l’âge adulte. Le nombre de connexions neuronales diminue de même que la densité des synapses (transmissions entre les neurones).
Quelles sont les capacités cognitives affectées par l’âge ?
Les hippocampes, zones de formation des nouveaux souvenirs, sont parmi les parties du cerveau les plus affectées… comme si la formation de nouveaux souvenirs venaient en compétition avec les modèles acquis.
Ainsi, dans « la saison du vieillissement » :
- La vitesse moyenne des opérations cognitives décline, de même que la capacité à recevoir et à traiter des informations venues du monde extérieur.
- La capacité de s’abstraire des perturbations extérieures diminue.
- La mémoire de travail (stocker et manipuler une information temporairement), ainsi que la flexibilité mentale (passer rapidement d’un processus mental à l’autre) diminuent.
- Les « capacités fluides » (performance et vitesse de résolution des tâches liées à de nouveaux matériaux) sont celles qui déclinent le plus, car affectées par la réduction de la mémoire de travail.
- Les « capacités cristallisées », celles qui s’améliorent avec la connaissance accumulée, telle que l’aisance et la signification verbale, demeurent quant à elles à un haut niveau fonctionnel jusqu’à des âges avancés. C’est pourquoi « les capacités managériales, qui font essentiellement références aux aptitudes verbales, demeurent pratiquement inchangées tout au long de la vie ».
Peut-on apprendre tout au long de la vie ?
En vieillissant, nous pouvons continuer à être pertinent et à apprendre parce que nous apprenons à partir du « stock » d’expériences que nous avons emmagasinées. Ainsi la compétence (« connaissances en actes ») se définit comme la « capacité à faire du lien entre l’ancien et le nouveau ». On peut être un « senior » et un bon apprenant, dès que l’on est en mesure de faire le lien entre les nouvelles connaissances et les connaissances que l’on avait précédemment.
Les stratégies d’apprentissage varient donc effectivement avec l’âge. Prenons le cas du salarié senior, plus il est expérimenté, plus il devra apprendre à partir de sa « banque d’expériences » préalables : prendre conscience de ses manières de faire, de ce qui est transposable dans la nouvelle situation, de ce qui ne l’est pas.
Mais force est de constater que les « seniors » ont justement du mal à se défaire de leurs routines, à accepter de changer une manière de faire qui « fonctionnait » jusque-là.
Rigidifications, certitudes affirmées, représentations très ancrées… sont souvent évoquées comme des écueils à l’apprentissage des seniors, lorsque l’apprentissage porte sur un contenu très évolutif par rapport aux représentations antérieures.
Pour reprendre Piaget, le senior a plus de facilité pour l’assimilation (processus d’intégration d’une information) que pour l’accommodation (processus de modification de la représentation mentale), mais pour apprendre il faut les deux…
En conclusion, le sens et la richesse du travail vécus aujourd’hui préparent les apprenants de demain que nous sommes. Au regard des apprentissages, ce n’est pas tant l’âge qui prédomine mais le parcours personnel (familial, professionnel…) antérieur qui joue comme facteur de différenciation. Car, en matière de capacités cognitives, l’entraînement joue un rôle majeur : l’exercice des capacités intellectuelles permet de compenser largement les effets du vieillissement, de régénérer les neurones et les connexions.
Source : E. Goldberg, « Les prodiges du cerveau ». Edition Robert Lafont