Tous les responsables politiques et syndicaux en France ne jurent que par le principe de la répartition, outil indiscutable et incontesté de la solidarité intergénérationnelle. Une telle unanimité sur un principe mérite de regarder l’application qui en est faite.
Le principe de la répartition
La répartition suppose la définition d’une population entre les membres de laquelle le principe s’appliquera : des ressources sont collectées à l’intérieur de celle-ci selon des règles définies pour être réparties entre ces mêmes membres selon des règles différentes, mais en faisant en sorte que l’équilibre soit respecté. Cet équilibre n’est pas nécessairement instantané et il est tout à fait possible que pour faire face, par exemple, à des évolutions démographiques internes à la population ou à des fluctuations de la conjoncture, des réserves soient constituées ou des emprunts sollicités. C’est une légitime activité de lissage dans le temps, mais elle doit avoir vocation à s’annuler.
Il est également légitime, lorsque la faculté contributive d’un membre de la population de référence est absente ou réduite (maladie, chômage…) que des droits à pension soient néanmoins attribués. Cette manifestation de solidarité envers les personnes victimes d’un accident de la vie peut être gérée à l’intérieur du régime lui-même (pensions de réversion par exemple) ou par des versements au profit du régime provenant d’autres sources (Assedic, FSV…). C’est l’ensemble des ressources contributives et solidaires, qui doit concourir, avec les prestations, à l’équilibre.
Le principe de répartition exige que l’équilibre, instantané ou calculé sur une période, soit assuré. S’il ne l’est pas, le principe de répartition n’est pas respecté, le déficit s’installe et la dette s’accumule, situation que nous connaissons bien.
Prenons l’exemple de la branche Santé de la Sécurité Sociale
La population est très large : tous les résidents français du moment. Chacun de ceux-ci, dans une même période de temps, est à la fois contributeur et bénéficiaire du régime.
Les modes de contribution sont larges et diversifiés : cotisations, CSG, impôts et taxes affectés… au total 176 Mds € en 2011.
Pour cette même année, les charges ont représenté 184,4 Mds €, soit un déficit de 8,6 Mds € (0,4 point de PIB), en réduction de 3 Mds € par rapport à 2010.
Ce déficit est normalement transféré à la CADES(1), laquelle doit légalement avoir apuré son compte en 2025 au plus tard. Pour que le principe de répartition soit respecté, il faut considérer que le report à 2025 correspond à un lissage et que, d’ici là, par des écono- mies ou par accroissement des ressources (retour de la croissance ou nouveaux prélèvements obligatoires) les comptes se soient rétablis.
Acceptons-en l’augure !
Revenons aux retraites
Le cas des retraites est différent et plus complexe que celui de la santé.
D’une part, chacun des régimes de retraite qui composent le système français de retraite – et on en compte plusieurs dizaines – a défini sa propre population de référence au sein de laquelle le principe de répartition doit s’appliquer. A la notable exception de la Fonction Publique d’État (FPE), la gestion se fait grâce à une caisse spécifique qui reçoit les cotisations et verse les prestations.
D’autre part, chacune de ces populations est constituée de deux sous-ensembles distincts : des actifs qui cotisent et des retraités qui perçoivent des pensions. Sauf les cas de cumul emploi-retraite, chacun est soit actif soit retraité. Entre le moment où une personne est contributrice et celui où elle est devenue bénéficiaire, plusieurs dizaines d’années se sont souvent écoulées, les circonstances ont changé et la visibilité sur ce dont elle bénéficiera est incertaine, ce qui ex- plique l’inquiétude des actifs, surtout les plus jeunes. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous allons porter le regard sur quatre régimes pour identifier les problèmes qu’y pose l’application du principe de répartition ainsi que les solutions apportées.
Conclusions
Sur l’équilibre financier.
La première conclusion qui s’impose est l’impécuniosité des régimes. Toutes les réformes précédentes se sont attaquées à cette question, mais sans l’avoir résolu de manière pérenne, la preuve en est qu’en 2013, à nouveau, une réforme est sur la table.
Le COR considère le système de retraite dans son en- semble et produit régulièrement des projections sur son devenir à différentes échéances. Pour ce faire, des scénarios sont construits en utilisant des batteries d’hypothèses concernant les principaux paramètres que sont la démographie, la croissance et le chômage. Le travail des experts n’est pas en cause, mais la répugnance des politiques à porter leur regard au-delà de l’horizon de la prochaine élection explique le caractère optimiste (volontairement ?) des paramètres retenus et l’obligation de multiplier les réformes.
Pour préparer celle de 2013, le scénario central du COR a retenu une hypothèse de croissance de 1,5 % et un taux de chômage de 4,5 %. Sur ces bases, le déficit en 2020 serait supérieur à 20 Mds €. La somme est déjà conséquente, mais elle serait majorée si la réalité devait faire apparaître qu’une fois de plus, les hypothèses pêchent par excès d’optimisme.
Le système de retraite est donc sous-financé et il faudra bien apporter les remèdes appropriés. Ils sont au nombre de trois et le COR les rappelle régulièrement : augmenter les ressources, baisser les prestations ou repousser l’âge du départ en retraite et nous n’échapperons pas à la sanction de cette redoutable équation. Mais, la nécessité d’équilibrer les comptes n’est pas la seule conclusion que l’on peut tirer du bref regard qui vient d’être porté sur quelques régimes.
Sur la population de référence.
L’extrême segmentation des régimes constituant le système français de retraite conduit à une segmentation parallèle des populations de référence et l’expérience montre, (Mines, Marins et FPE…) que cela conduit, lorsque les évolutions démographiques internes le demandent, à sortir du cadre pour faire appel à la solidarité nationale.
Cela est manifeste pour la FPE dont la cotisation implicite augmente de quelques points chaque année en fonction des besoins. Cela est vrai également pour la CNRACL(3) dont la cotisation patronale (financée par les impôts locaux) augmente elle aussi en fonction des besoins et ne revenons pas sur le cas des mines ou de la marine marchande ni sur les subventions diverses que l’État accorde chaque année aux régimes spéciaux, plus de 6 Mds €.
Ainsi, certains régimes, lorsque des difficultés apparaissent pour honorer les engagements vis-à-vis de leurs retraités, ont-ils la possibilité de faire appel à la collectivité nationale, qu’elle soit représentée par les contribuables ou les consommateurs de gaz ou d’électricité. D’autres, comme les régimes complémentaires du privé n’ont pas cette faculté, ce qui constitue une rupture d’égalité.
Il n’est dès lors pas démagogique, mais seulement équitable de demander qu’en matière de retraite, ne soit considérée qu’une seule population de référence, celle des habitants de ce pays. Cela en outre supprimerait l’inextricable complexité des mécanismes de compensation(4).
Sur les prestations des régimes.
Chaque régime étant autonome, il définit librement ses propres règles, ce qui ne poserait pas de problème de principe s’il avait les moyens de les financer avec ses propres ressources.
Or ce n’est pas le cas et les statistiques montrent que les régimes qui reçoivent des subventions sont aussi ceux dont les prestations sont les plus généreuses(2). Il y a là, semble-t-il, une autre anomalie.
Avec la définition d’une seule population de référence, il s’ensuit logiquement qu’il ne devrait y avoir qu’un régime de prestations : pourquoi en effet le contribuable ou l’abonné au gaz devrait-il financer des avantages supérieurs à la moyenne ?
(1) CADES : Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale
(2) La Sécurité Sociale serait pénalisée de 1,2 Md €
(3) CNRACL : Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités Locales
(4) Lire sur ce sujet les rapports du COR du 9 février et 19 octobre 2011
(5) Source DREES : En 2010, les retraites de droit direct pour une carrière compète étaient : Privé 1704 €, FPE civils 2382 €, CNARCL 1846 €, régimes spéciaux 2104 €.
Article paru dans le Courrier des retraités Juin 2013
Lien vers le site : http://www.retraites-ufr.com