Qui n’a jamais entendu un sobriquet ridicule donné à quelqu’un ? Très souvent moqueur, il est parfois difficile de le porter toute sa vie. Le ti
nom est plus affectueux. Jude Duranty, poète, musicien et auteur, en a fait un ouvrage « Non savann, soudnon, ti-non » plein d’humour sur les surnoms où s’entremêlent fiction et réalités et a recensé plus de 4 600 surnoms. Cela devrait rappeler de très nombreux souvenirs d’enfance aux seniors.
Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire cet ouvrage ?
Nous avons tous été confrontés dans notre entourage et pas seulement antillais aux situations suivantes : nous pensions connaître quelqu’un depuis l’enfance sous un nom. Nous constatons qu’en réalité, c’était son surnom et non son véritable prénom le jour d’un évènement dans sa vie, son mariage, son élection ou ses obsèques.
D’où vient cette propension à donner des surnoms ?
Est-ce la réminiscence d’une pratique ancestrale du « nom caché » pour éviter des déboires magico-religieux ? Ce sont ces situations et de nombreuses questions qui m’ont incité à écrire ce livre. J’ai aussi fait l’objet d’un surnom. A la maison, on m’appelle Frédéric et pour l’état civil, je suis Jude.
L’attribution de sobriquet ne m’épargna pas et j’en ai pas moins de trois. Deux sobriquets plaisants ou affectueux Dédé, Kikikin et un offensant Choucoune, qui vient d’une vieille chanson de l’haïtien d’Oswald Durand en 1884 que j’ai eu l’occasion de mimer. Si je n’ai pas été « traumatisé », cela a néanmoins été perturbant pour l’affirmation de soi. Aujourd’hui, j’ai transcendé tout cela en vivant de ce « génie » créatif créole et en assumant toutes ces dimensions sociales. J’ai aussi pris le pseudo de Jid en 2004 pour signer les Kréyolad dans Antilla.
Quelle est votre source d’inspiration ?
Ce fut le quartier Fond Lahayé où pratiquement tout le monde avait un surnom. C’était un véritable « jeu » d’attribuer un sobriquet aux autres. J’ai décidé d’enquêter. Tout d’abord, une amie m’a dit qu’il était important de transcrire les surnoms de Fond Lahayé afin de les sauvegarder. J’ai écrit mon ouvrage à partir trois listes : deux portant sur les surnoms de Fond Lahayé fournie par deux connaissances et une autre composée de plus de 3 200 surnoms établie par un ami à partir des avis d’obsèques compilés depuis plus de dix ans. Cela m’a permis d’élargir mon propos à la Martinique. Ce phénomène n’est pas seulement l’apanage de Fond Lahayé mais bien de toutes les communes de la Martinique et d’ailleurs. C’est pour cela que je parle de personnes mais aussi des équipes nationales de football (Les Bleus, La Seleçao, Les éléphants de Côte d’Ivoire, Les Matininos..) et de handball (Les Bronzés, Les Bargeots, Les Experts…). Le sujet est plus vaste que l’on ne peut le supposer.
Que signifient non-savann, soudnon et ti-non ?
Le non-savann est un nom non enregistré à l’état civil. Lorsque l’on vous donnait un surnom, c’était pour « la savane » pour éviter que le diable ne prenne votre nom. On voit donc intervenir le magico-religieux.
Le soudnon : c’est le surnom en créole qui est une appellation géographique que j’ai entendue dans le nord caraïbe. Il s’agit d’un nom ou d’un prénom donné à quelqu’un à la place de son véritable nom ou prénom. En réalité, il peut aussi s’apparenter au sobriquet.
Le sobriquet : c’est un surnom donné le plus souvent à une personne par dérision et fondé sur un défaut du corps, d’esprit ou une singularité. Il s’apparente aussi à ce que nous appelons en créole : le ti-non.
Le ti-non : est aussi un sobriquet avec un champ plus réduit ne dépassant guère la sphère familiale. Titi, Youyou, Silotte …
Le pseudonyme est un nom ou un prénom que l’on s’attribue afin de dissimuler sa véritable identité au public. Son usage est fréquent dans certains milieux notamment artistiques. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il aurait même tendance à supplanter les surnoms.
Pourquoi cette propension à cacher son vrai nom ?
Dans certaines tribus africaines, il y a le « nom caché » non connu de la communauté. On peut supposer que notre propension à donner aux gens des surnoms viendrait de là.
Un proverbe de chez nous dit bien « tout jé sé, mé kasé bwa an tjou makak pa jé ». En effet, l’attribution du surnom et du sobriquet constitue une violence à l’égard de la personne pour ce que certains auteurs, tel que Paul Chanson, ont décrit dans l’ouvrage intitulé : La blessure du nom : Une anthropologie d’une séquelle de l’esclavage aux Antilles-Guyane.
Dans l’ouvrage, j’ai défini quatre types de sobriquets :
- Le sobriquet plaisant et affectueux, attribué le plus souvent par sa famille, n’a pas de caractère offensant. Plutôt sympathique, il ne pose pas véritablement de problème pour le « nommé ». Charlie, Didi, Malou, Toto, Pim, sont plutôt sympas.
- Le sobriquet offensant est donné à partir d’une anecdote (Fasil) ou d’un défaut physique (Pié-pan). Loin d’être sympathique, c’est un véritable boulet pour celui qui le porte. Citons : Souri, Kasanfè, Tet-Pipi, Soleks, Kakadjab ou Félis doub bonda
- Le sobriquet injurieux est très violent. Il s’apparente au précédent mais avec une dose supplémentaire de méchanceté. Comme Kaka tout bet, Rozet zotèy kochi, Robè soup, ou Etiopi bab kribich ou Bonda mézanmi
- Le sobriquet anecdotique et ridicule est une nuance dans la volonté de tourner en ridicule la victime. Il fait rire, mais pas la victime, même si on ne connaît pas l’anecdote initiale. Lolé, An sel kou, Panmpanlanm panlanm, Pilé pikan, Némàn bwet zouti, Machwè dasié déclenchent l’hilarité.