Qu’est-ce que la vieillesse ? Existe-t-il des modifications psychologiques ? Qu’en est-il de l’estime de soi ? Le réseau social améliore-t-il les fonctions cognitives des seniors ? Suite de l’interview de Mme Claudia Leuly-Joncart, neuropsychologue réalisée par Dr Carolle Chatot-Henry, gériatre.
En quoi diffère la sphère psychologique des ainés par rapport à des plus jeunes ?
La crise identitaire sous-jacente au vieillissement implique un travail de deuil de soi-même, de ce que la personne âgée a pu être. De là se font ressentir une dévalorisation de l’image de soi et une blessure narcissique. En témoignent les interventions des personnes âgées qui nous rappellent cet autre qu’elles pouvaient être autrefois : « Avant, quand j’étais jeune, au moins je me sentais libre de faire ce que je voulais, mon corps ne me l’empêchait pas. Si vous saviez comme je dansais, sautais, courais, j’étais douée, souple et puis j’apprenais aux autres. Maintenant, même si je pouvais danser ou chanter, eh bien, j’en aurais même pas envie, de toute façon, j’suis plus comme avant… » Or, si cette image souffre d’être écorchée et de se perdre, la vie dépend d’un minimum d’investissement narcissique. L’angoisse de l’abandon, liée à ce sentiment de dépossession, de perte, se fait ressentir et est parfois difficile à vivre face aux limites d’une réalité physiologique et à la menace oppressante de la mort.
En ce sens, le narcissisme, ciment de l’identité, est mis à rude épreuve au cours du vieillissement, véritable crise identitaire qui impose de faire le deuil de ce que l’on a été. Ce travail de deuil prend naissance dans le fait de se voir vieux à ses propres yeux mais aussi dans le regard de l’autre (Herfray 1985).
Enfin, la perte de la jeunesse est inexorablement associée à la rencontre avec la mort, impliquant un deuil ultime qui est le deuil de soi. La mort quitte son statut de simple concept et devient totalement appropriée par la personne âgée, qui en fait une affaire personnelle. La mort devient une réalité avec laquelle elle doit composer dans la mesure où il s’agit progressivement de renoncer à la vie. Ce renoncement implique d’accepter de se détacher de la vie, sans la désinvestir pour autant, de manière active et progressive plutôt que de subir la mort de façon passive.
L’estime de soi, est-ce un paramètre qui se modifie avec l’âge ?
La crise identitaire est bien au coeur de la vieillesse, mettant à mal la question du narcissisme. La vieillesse est un passage incontournable imposant de revoir ses représentations personnelles en termes identitaires mais aussi sociaux, de faire le bilan de ce qui a été et de ce qui n’est plus, de s’engager dans un travail de remaniement (travail du deuil) afin de pouvoir s’engager dans la vieillesse de manière sereine.
C’est en ce sens qu’elle peut légitimement être considérée comme une véritable période de crise qui peut ou non être dépassée selon les mécanismes de défense et d’adaptation mis en place.
Accepter de vieillir physiquement et intellectuellement met en jeu l’estime de soi et ne peut donc être pensé sans référence aux conditions dans lesquelles l’individu s’est développé et donc sans référence à ses assises narcissiques. Selon la robustesse des assises narcissiques et la faculté à supporter l’incomplétude, la personne âgée exprimera plus ou moins des plaintes (hypocondriaques, mnésiques, etc.) soulignant son degré de vulnérabilité psychique.
Par quel biais le réseau social améliore-t-il les fonctions cognitives des seniors ?
Le soutien social reste très important pour le maintien du bien-être et de la qualité de vie de la personne âgée. Ce soutien social favorisera un sentiment de sécurité et permettra d’amoindrir les effets du stress, les situations dépressogènes, tout en renforçant l’estime de soi.
Le maintien d’une activité sociale est l’occasion pour les personnes de sortir de chez elles, d’organiser leur journée, de planifier, d’anticiper, au regard de cette activité et d’interagir avec d’autres individus ; elle permet donc de lutter contre l’isolement.
Echanger, parler, converser, s’investir dans des activités associatives sollicitent le langage. Entretenir des liens fréquents avec les personnes de notre réseau social stimule le cerveau et le protègerait du déclin cognitif.
Les activités sociales comme le fait de partager des repas, des loisirs, des sorties, des discussions, soutiennent un mode de vie actif, améliorent la qualité de vie, augmentent l’estime de soi, préviennent l’isolement et diminuent le stress et le risque de dépression.
Maintenir une bonne stimulation de votre cerveau par différents loisirs. Il n’existe pas une activité qui soit préférable aux autres. L’idée est d’exercer votre esprit en variant vos loisirs, selon vos intérêts. La lecture, les jeux de cartes ou de société, les casse-têtes, la pratique d’un art, l’apprentissage d’une langue ou d’un instrument de musique, le bénévolat, la cuisine, le jardinage, le bricolage, la navigation sur internet, les activités culturelles comme les musées, spectacles, concerts, sont toutes des stimulations qui favorisent la réserve cognitive et entretiennent un bon fonctionnement du cerveau et de la cognition.
Arc
Par rapport à la perte de soi la mort est une délivrance, je ne veux pas me survivre.