Au 1er janvier 2016, les salariés non encore couverts par une complémentaire santé vont l’être avec un support de leur entreprise. C’est une avancée ! Mais les dépenses de santé ne cessent d’augmenter gonflant tant le déficit de la Sécurité Sociale que les charges des mutuelles.
L’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 13 janvier 2013
Il prévoit qu’à compter du 1er janvier 2016, tous les salariés du secteur privé devront être couverts par un contrat obligatoire leur garantissant la prise en charge du ticket modérateur de la Sécurité Sociale, du forfait hospitalier, d’une amélioration des prises en charge dentaires et d’un forfait de 100 à 200 € tous les deux ans pour l’optique (dans la limite des dépenses engagées, bien sûr). En contrepartie, il ne prend en charge ni les médicaments à vignette bleue et orange, ni l’homéopathie ou les cures thermales. La moitié du coût de cette couverture obligatoire devra être supportée par l’entreprise. L’autre partie pourra être déduite du revenu imposable des salariés
Pour les salariés
- Déjà couverts par une complémentaire santé obligatoire, l’accord ANI n’apporte pratiquement rien
- Couverts par une complémentaire non obligatoire, l’accord apporte une garantie minimum et la déductibilité fiscale de leur part de la cotisation.
- Non couverts par une complémentaire santé, ils sont les véritables gagnants de cet accord. Ils sont plusieurs centaines de milliers dans ce cas, surtout dans les petites et moyennes entreprises.
L’ANI apporte aux salariés non déjà couvées par un régime obligatoire :
- Une couverture santé à ceux qui n’en avaient aucune
- La prise en charge par l’entreprise d’une partie de leur cotisation
- La déductibilité fiscale de leur part de la cotisation
- ll est toutefois insuffisant car il laisse de côté les foyers qui ne sont pas salariés du privé : retraités, fonctionnaires ….
Encore une discrimination à l’horizon !
Le régime complémentaire santé obligatoire d’Alsace-Moselle
Héritier de la période pendant laquelle cette région était intégrée dans l’Empire Allemand, ce régime s’applique aux salariés du privé et aux contractuels de droit public des entreprises ayant leurs siège dans les trois départements ainsi qu’à leurs retraités. Les salariés agricoles bénéficient d’un régime identique géré par la Mutualité Sociale Agricole (MSA). Ne sont donc pas concernés les fonctionnaires, les salariés des régimes spéciaux; les travailleurs indépendants.
Le dispositif jusqu’à l’application de l’ANI
Sur la base du Tarif de Responsabilité de la Sécurité Sociale, le régime rembourse 100 % des dépenses d’hospitalisation, 90% des dépendes de soins de ville, sauf pour les médicaments à 30 % qui ne sont remboursés qu’à 60 % et les médicaments à 15 % qui ne sont pas pris en charge.
Le financement est assuré par les seules bénéficiaires par une cotisation non plafonnée de 1,5% sur leurs revenus d’activité ou de remplacement (retraites, allocations chômage).
Il s’agit donc, comme la Sécurité Sociale, d’un système redistributif, les cotisations étant fixées en fonction, non du risque, mais des revenus. La gestion administrative est assurée par les URSAFF et la CPAM pour un coût marginal très faible
Les résultats
Ce régime s’équilibre, soit en modifiant la cotisation entre 0,75% et 2,25%, soit en modifiant les prestations. c’est ainsi que la cotisation a pu baisser de 0,1% ou que par exemple le forfait hospitalier a pu être pris en charge.
Il dispose de réserves importantes (270 M€ fin 2010) et outre la faiblesse des frais de gestion, il n’est assujetti ni à la Taxe Spéciale sur les Conventions d’Assurance, ni au financement de la CMU-C.
Sur les dix dernières années, 2003-2012, trois furent déficitaires (2003, 2008 et 2012), sept furent excédentaires;
Le régime spécial d’Alsace-Moselle apporte à ses bénéficiaires :
- Une couverture obligatoire couvrant l’essentiel du ticket modérateur
- Des frais de gestion réduits
- L’économie de la TSCA et du financement de la CMU-C
- La déductibilité fiscale de la cotisation
- Mais, il ne couvre qu’une partie de la population
La survenue de l’ANI, en principe applicable dans toutes les entreprises va contraindre le régime spécial à s’adapter pour être compatible avec le nouveau cadre légal. Les questions sont nombreuses : faire cotiser les employeurs ? Exclure les retraités ? Aligner les prestations sur celles de l’ANI ? Rien n’est insoluble, mais les discussions sont vives.
La notion de contrat responsable
La réglementation définit comme « contrat responsable » ceux qui :
- Prennent en charge le ticket modérateur sauf vignette bleue/orange, cures thermales et homéopathie
- Prennent en charge le forfait hospitalier
- Respectent les franchises de 0,5 à 1 €
- Appliquent un maximum aux dépassements d’honoraires et aux équipements d’optique
Ces contrats paient la Taxe sur les contrats d’assurance (TSCA) au taux de 7% alors qu’elle est de 14% pour les contrats qui ne respectent pas ces contraintes.
III – Quels changements pour demain
Il n’entre pas notre propos de proposer des réformes pour la Sécurité Sociale La tâche est ardue et prendra du temps pour atteindre l’objectif d’éliminer le déficit. Nous souhaitons toutefois que ce temps vienne, non seulement pour le pays qui voit s’accumuler une dette colossale, mais surtout pour nos enfants et petits-enfants à qui, sans vergogne, nous transmettons notre incapacité à faire face à nos dépenses.
La sécurité sociale, avec son Tarif de Responsabilité de la Sécurité Sociale (TRSS) est et restera la base du système de remboursement
Elle couvre aujourd’hui environ 75 % de la Consommation de Soins et Biens Médicaux (CSBM) et le solde se répartit entre les complémentaires Santé et les ménages.
De manière plus fine, ce solde, qui est le terrain d’opération des complémentaires est composé de deux éléments :
- Le ticket modérateur qui est l’écart entre le TRSS et la part de celui-ci que la Sécurité Sociale prend en charge
- La partie des dépenses qui dépassent le TRSS. Il peut s’agir de prestations pour lesquelles le TRSS est notoirement déconnecté des dépenses réelles, en particulier l’optique et les prothèses dentaires Il s’agit également du monde des dépassements d’honoraires que les professionnels préfèrent qualifier de complément d’honoraires.
Le ticket modérateur est au coeur du dispositif
Il est clair que tant l’accord ANI que le régime d’Alsace-Moselle sont organisés autour de sa prise en charge, même s’ils le font selon des modalités marginalement différentes. Ces deux systèmes présentent l’inconvénient de ne couvrir qu’une partie de la population, les salariés pour l’ANI, les salariés et retraités de sociétés ayant leur siège dans les trois départements d’Alsace-Moselle.
Dans un pays si attaché à assurer l’égalité de ses citoyens, une telle situation n’est guère satisfaisante. Pour y remédier, on pourrait, imaginer trois orientations :
- Généraliser le régime ANI
- Généraliser le régime Alsace-Moselle à l’ensemble du territoire
- Intégrer le panier de soins de l’ANI dans la base de remboursement de la SS qui deviendrait ainsi le tarif de Remboursement de la SS.
IV – Une solution d’avenir : le régime d’Alsace-Moselle
Même si la 3ème hypothèse évoquée ci-dessus présenterait une véritable simplification, sa mise en œuvre nécessiterait de tels bouleversements dans l’ensemble des circuits financiers qu’elle est peu réaliste, du moins dans l’horizon court.
En revanche, l’hypothèse de généralisation à l’ensemble du pays du régime d’Alsace-Moselle est, elle, tout à fait réaliste et ce n’est pas un hasard si le Sénat à l’occasion d’un rapport de Mme Patricia Schillinger [1] identifiait les avantages de ce régime et son caractère attractif pour une éventuelle généralisation.
Le fait que ce régime soit équilibré ne provient aucunement d’un éventuel caractère « vertueux » des Alsaciens Mosellans. Leur consommation de soins n’est pas différente n’est pas différente de celle du reste de la France et leur taux de couverture par une assurance complémentaire classique est identique à celui de la France entière.
Il est raisonnable de s’attendre à des réticences des assureurs complémentaires qui devraient recalibrer leurs barèmes et enregistrer une baisse de leur volume d’affaires, sans doute d’environ 50 %. Notons simplement qu’ils le font déjà en Alsace-Moselle.
Le régime particulier ne concerne que les salariés et anciens salariés du privé. Une généralisation pourrait-elle ne concerner que ces catégories ? Ou devrait-elle concerner l’ensemble de la population, fonctionnaires, ressortissants des régimes spéciaux, non salariés ? En revanche, la généralisation éventuelle rendrait superflues la CMUC-C et sans doute l’ACS.
La généralisation entraînerait des transferts financiers importants : diminution de la TSCA, perte de recettes fiscales dues à la déductibilité des cotisations du revenu imposable. Il y aurait également transfert entre catégories sociales du fait d’un financement base sur l’ensemble des revenus d’origine professionnelle, indépendant du risque, mais la déductibilité fiscale de la cotisation en atténuerait l’importance.
A tout ceci se rajoute un aspect politique qui n’est pas mince puisque s’agissant d’un régime obligatoire cela se traduirait par une hausse du niveau des prélèvements obligatoires, même s’il ne s’agirait que d’un effet d’affichage sans impact sur le pouvoir d’achat des ménages qui supporteraient une moindre charge au titre de l’assurance complémentaire.
V – Conclusion générale
La première responsabilité incombe au Gouvernement et au Parlement qui vote chaque année l’Objectif National de Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM), c’est-à-dire des dépenses couvertes par la Sécurité Sociale. Cet objectif doit être respecté et les réformes nécessaires doivent être entreprises, dépenses d’hospitalisation, médicaments …
Si l’ONDAM voté excède le volume de ressources allouées à la Sécurité Sociale, sauf à poursuivre le transfert hypocrite des excédents vers les complémentaires Santé ou les ménages, il appartient au Gouvernement de prévoir soit des ressources supplémentaires (CSG, taxes diverses …), soit des réformes en p ;us de celles engagées pour respecter l’ONDAM.
Le financement des dépenses de santé bénéficie donc de l’action de la Sécurité Sociale qui en constitue le socle, mais, nous l’avons vu, 25 % de ces dépenses sont prises en charge par une multitude de circuits qui, outre qu’ils sont coûteux et complexes, ne garantissent pas l’équité.
Dans les faits, que ce soit au travers de l’ANI ou de l’existence du régime Alsace Moselle, une partie croissante de la population bénéfice de la mutualisation de la partie de ces 25 % correspondant au ticket modérateur.
A quelques écarts près qu’ils serait éventuellement aisé de corriger, le régime Alsace-Moselle constitue, comme le remarquait le rapport du Sénat, une bonne méthode pour simplifier l’ensemble des circuits, diminuer les dépenses de gestion et faire bénéficier l’ensemble de la population de la possibilité de déduire la cotisation correspondante de son revenu imposable. Cette dernière mesure devrait être complétée par un crédit d’impôt pour les personnes non imposables.
[1] Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat n° 443 (2011-2012) déposé le 29 février 2012
Article paru dans le Courrier des retraités Décembre 2014
& Pierre Erbs
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