Suite de notre rencontre avec Jude Duranty, poète, musicien et auteur, auteur de «Non savann, soudnon, ti-non « , un livre qui s’intéresse à la pratique du sobriquet bien connue par nos seniors.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé au quartier Fond Lahayé ?
J’avais remarqué que la plupart des gens avaient un surnom dans ce quartier et c’est vrai qu’à une certaine époque c’était véritablement un jeu de parler de quelqu’un à qui on avait attribué un surnom sans qu’il ne le sache lui-même. Et puis même s’il le savait, cela ne changeait rien au fait qu’on l’appelait ainsi parce que malencontreusement une anecdote avait fait que l’on vous attribuât ce surnom. Et puis lorsque j’ai commencé mon « enquête » je fus surpris du nombre de gens comportant des surnoms dans le quartier aussi bien parmi les plus âgés que parmi les plus jeunes. Mon ouvrage comporte 640 surnoms et beaucoup de gens m’ont dit qu’il en manquait autant car eux connaissaient et pas moi, car j’étais moins âgés. Mais incontestablement le plus intéressant c’est le contexte dans lequel est né le surnom qui recèle toute une poésie et une créativité.
Y a-t’il des particularités que vous avez notées dans ce quartier ?
L’une des particularités de ce quartier à une certaine époque c’est qu’il y avait du monde quelque soit l’heure où vous passiez à Fond Lahayé. Aujourd’hui, il y a une certaine faune nocturne qui fait plutôt craindre de sortir. C’était donc un quartier avec une grande convivialité. Rappelons qu’il est né d’un regroupement de sinistrés à l’issue de l’éruption de 1902 et l’on trouvait des familles issues du Prêcheur, du Carbet et aussi de Grand Rivière. Ce quartier a été un moment ostracisé par les habitants du bourg qui les considéraient comme des « désandi », une terre rapportée qui n’est pas schoelchéroise. Il n’est pas loin le temps où vous insultiez un lahayssois en le qualifiant de schoelchérois. Il vous répondait vertement : « man sé jan Fon Layé ». Autre temps, autres meurs, les choses ont changé et cet esprit de clocher a disparu mais aussi ce coté identitaire également. Il n’y a plus cette fierté du quartier.
Pouvez-vous nous donner quels surnoms qui vous ont marqué ?
Dans l’ouvrage je parle de « Avan mel », c’est le surnom donné à un entrepreneur de transport dans le quartier car il se réveillait très tôt pour transporter des travailleurs à la compagnie ou à Fort-de-France. Mais il y a une anecdote plus croustillante que j’ai apprise et que bien sûr il n’est pas question pour moi de révéler. C’est aussi cela toute la « complicité » autour des surnoms.
Celui de « Fasil » également est intéressant puisque la personne qui en a fait l’objet en est même arrivée à ne pas connaître son véritable nom. Il semble qu’il venait d’arriver dans le quartier et que, sans dire bonjour, il serait entré dans une conversation avec des jeunes gens en plein conciliabule. Dans la minute son nom fut Fasil.
Enfin, il y a un particulièrement difficile à écrire puisqu’il s’agissait d’un sifflement particulier. Lorsque vous avez ainsi sifflé, il fallait vous mettre à l’abri car il vous lançait le premier obus qui tombait sur sa main quelque soit l’endroit où vous étiez.
Il y avait un pêcheur réputé qui n’avait pas un mais deux surnoms Diablo et Bibi. C’était un monsieur d’une grande gentillesse mais aussi qui se mettait en colère. Un jour, il n’aurait pas hésité à renverser le canot plein de poissons d’un pêcheur pourtant son demi-frère. Celui-ci aurait seiné sur son canot.
Enfin, une dame qui aurait un peu forcé sur le maquillage et une autre n’aurait pas hésité à lui dire « fout ou fardé ou an mas kon an kloun ». Son surnom Masoukloun était né ! Cela montrait la créativité des gens et la facilité à vous attribuer un nom qui devenait votre nouvelle marque dans le quartier jusqu’à votre mort. Si d’aventure on ne le disait pas aux avis d’obsèques vous étiez enterré comme un vulgaire inconnu.
Pensez-vous qu’aujourd’hui les jeunes utilisent encore les surnoms et les sobriquets ?
Dans l’enquête faite auprès des jeunes, il apparait que ce phénomène est encore présent même si les prénoms offensants tendent à disparaître. Cependant un autre phénomène est en train de s’implanter au gré du phénomène des réseaux sociaux et du phénomène de bande c’est celui du pseudo. Beaucoup de jeunes se connaissent par ce biais et ignorent parfois la véritable identité de leurs interlocuteurs. Dans l’enquête, nous avons noté des surnoms venant de dessins animés par exemple attribués à des copains.
Avez-vous d’autres ouvrages en préparation ?
Il y a toujours des ouvrages en chantier mais je n’aime pas en parler tant qu’ils ne sont pas terminés. J’envisage une réédition de Non savann, soudnon, ti-non avec l’ajout d’autres surnoms recueillis aux avis d’obsèques ainsi qu’une petite analyse sur certains surnoms. Je peux vous dire qu’il y a un roman en créole et un ouvrage sur des crabes en collaboration avec un ami avec une comparaison sur les deux pays de Martinique et de Guadeloupe, nous sommes à la recherche d’un éditeur. Je vous signale aussi mon ouvrage le plus récent sorti en octobre 2015 Fantézi. C’est un hommage à Madame Julien-Lung Fu qui a écrit en créole un livre d’histoires comportant une rime unique intitulé : Les piments doux 25 fantaisies de MT Julien Lung-Fu. C’est un ouvrage disponible en librairie.
Nos seniors ont souvent un surnom ou un ti-non. Et vous, quel est le vôtre ?