Aux Antilles, les fêtes de Pâques ne se résument pas aux messes dominicales. Elles s’inscrivent dans un cycle de traditions où spiritualité pour les catholiques, culture populaire et gastronomie se mêlent étroitement. Du chemin de croix du vendredi saint au matoutou de crabe du lundi de Pâques, chaque moment a sa place. Ces rituels perdurent, portés par la mémoire des seniors comme Guy, un senior martiniquais, qui se souvient du temps où les préparatifs commençaient dès la fin du carnaval.
D’où vient le matoutou de Pâques et pourquoi est-il si spécial ?
Plat emblématique des Antilles, le matoutou de crabe puise ses origines dans un double héritage. D’un côté, il perpétue les pratiques culinaires des Amérindiens, qui consommaient déjà le crabe bien avant la colonisation. De l’autre, il renvoie à l’ère de l’esclavage. A l’époque coloniale, les esclaves étaient contraints de suivre le carême imposé par l’Église catholique. A cette période, la consommation de viande leur était interdite. Le crabe, considéré comme un plat maigre, était une alternative accessible et autorisée. Les esclaves en faisaient des réserves pour les consommer à la fin du carême, notamment lors du dimanche de Pâques qui marquait la fin des privations. Aujourd’hui encore, préparer et partager un matoutou sur la plage ou en famille reste un rituel bien vivant.
Guy nous raconte Pâques de son enfance
Sitôt le carnaval terminé, nous récupérions les caisses de morue à la boutique du coin pour confectionner les ratières qui serviront de pièges à crabe. Ces crabes étaient dégorgés dans des cages et nourris à base d’herbes grasses, de pelures de giromon et d’abricot et de canne. Les crabes étaient utilisés pour cuisiner le fameux matoutou.
Le vendredi saint
Ce jour marquait le début des célébrations. Pâques est une fête chrétienne religieuse très importante aux Antilles, où la tradition chrétienne est fortement ancrée. Les célébrations commencaient dès le vendredi saint, jour férié aux Antilles. Le chemin de croix, éducation judéo chrétienne oblige, nous amenait soit à l’église soit autour de la ville pour prier le long des 12 stations du Christ. Les chemins de croix que nous effectuions souvent en famille, étaient éprouvants, surtout sous le soleil de la Martinique.
J’attendais avec impatience le retour à la maison car c’était le moment après le jeune de la journée où nous dégustions les fameuses marinades que l’on appelle accras aujourd’hui. Nous les partagions avec le voisinage et chacun rivalisait d’originalité.
Le samedi gloria
Arrivait ensuite la veillée pascale qui est une célébration religieuse importante qui a lieu le samedi soir, avant le dimanche de Pâques. Nous l’appelions le samedi gloria comme aujourd’hui. De nombreuses manifestations étaient prévues car ce jour était associé à des manifestations culturelles fortes comme le bèlè et le danmyé qui avaient lieu au pitt de la commune.
Le dimanche de Pâques
Ce jour marque la célébration de la résurrection du Christ pour les catholiques. Après la messe, les familles se réunissaient pour partager un repas traditionnel. Le plus souvent, nous consommions un bon coq local ou de la viande mouton accompagné d’haricots rouges et de légumes pays.
Le lundi de Pâques
Les crabes péchés précédemment étaient nettoyés en récupérant leur « graisse » et préparés pour le fameux matoutou. C’est le plat emblématique du lundi de Pâques à la Martinique. Il est cuit avec des épices dont la poudre à Colombo ou le curry pour être servi avec du riz. Contrairement au dimanche de Pâques marqué par des célébrations religieuses, le lundi était davantage axé sur la détente et les loisirs.
L’ambiance à Pâques
Il était de coutume pour les familles et les amis de se rassembler sur les plages ou au bord des rivières pour des pique-niques festifs. Notre destination était l’anse Charpentier à Sainte-Marie, en Martinique, où se retrouvaient de nombreuses familles du nord de l’île. Il y avait des danses de bêlé ponctué de tambour et le moment le plus attendu était le damyé, dit ladja. C’était une sorte de duel entre des majors du bèlè rythmé au son du tambour.
De nos jours cette plage aux fortes houles est interdite. Les gens se dirigent plus vers des plages plus propices au bain comme Cosmy, anse Azerot ou Tartane voire le sud. Les tambours sont remplacés par des sonos et le rassemblement familial a laissé la place aux regroupements de jeunes amis. Toutefois, les repas familiaux autour du matoutou résistent tant à la maison que sur les plages.
Guy Massée et l’équipe d’Happy Silvers