Diversifié comme le sont les professions qu’il rassemble, le système de retraite obligatoire des professions libérales est complexe. Combinant répartition et capitalisation, il connaît les mêmes incertitudes financières que les autres régimes.
Introduction générale
Indépendantes par nature, les professions libérales se sont néanmoins regroupées au-delà de l’obligation faite à certaines d’appartenir à des ordres définis par la puissance publique, huissiers, avocats, médecins, commissaires aux comptes…
Caisse Professions Cotisants
I II III
CRN Notaires 8 382
CAVOM Officiers ministériels 4 228
CARMF Médecins 121 015
CARCDSF Dentistes et sages-femmes 39 525
CAVP Pharmaciens 32 531
CARPIMKO Infirmiers, pédicures, ortho/phon, optique 166 533
CARPV Vétérinaires
10 226
CAVAMAC Agents et mandataires d'assurance 11 901
CAVEC Experts comptables Commissaires aux comptes 18 565
CIPAV Architectes, géomètres, conseil et autres
216 573
Effectifs 629 479
Elles sont très diverses. 34 d’entre elles sont réglementées *, les autres, plus d’une centaine, sont définies négativement comme ayant une activité n’étant ni commerciale, ni artisanale, ni industrielle, ni agricole et qui n’entre pas dans le domaine des professions libérales dites « réglementées ». Voici quelques exemples de ces dernières : archéologue, astrologue, coach, enquêteur, cartomancienne…
L’Union Nationale des Professions Libérales (UNAPL) les rassemble et revendique 800 000 professionnels employant 1,5 million de salariés.
La Caisse NAtionale Vieillesse des Professions Libérales (CNAVPL) regroupe environ 629 000 professionnels répartis en 10 caisses (voir tableau), dont la CIPAV qui accueille une partie des « auto-entrepreneurs », les autres étant affiliés au régime des indépendants, le RSI. Les avocats ont choisi de rester à l’écart avec une caisse spécifique, la Caisse Nationale des Barreaux Français (CNBF).
La Confédération Nationale des Retraités des Professions Libérales (CNRPL) rassemble les associations de retraités qui se sont constituées. Elle a rejoint la Confédération Française des Retraités (CFR) en 2001.
Dans les différentes caisses, on compte deux ou trois niveaux :
- Le régime de base. unifié depuis 2004 est un régime obligatoire par points géré en répartition. Il comporte deux tranches. Une jusqu’à 85 % du plafond de la Sécurité Sociale, (31 477 €, cotisation de 9,75 %) et une seconde tranche entre ce plafond particulier et 5 fois le plafond de la SS, soit 185 160 € (cotisation de 1,81 %).
- Des régimes complémentaires spécifiques à chacune des 10 caisses. Ces régimes, à l’exception de celui de la CAVP des pharmaciens(1), sont gérés en capitalisation.
- Certaines caisses, CARMF, CAVP, CARPIMKO, CARDSF, prévoient également un régime supplémentaire, Prévoyance Complémentaire Vieillesse (PCV) ou Avantages Sociaux Vieillesse (ASV).
Le tableau des pages suivantes indique les principaux paramètres relatifs aux deux premiers niveaux.
Rôle de la démographie
Comme pour tout régime, le rapport entre l’effectif des cotisants et celui des retraités, directs et ayants-droit, (colonne X) est déterminant pour l’équilibre. Le rapport moyen de 2,43 (2,54 l’année précédente) peut sembler satisfaisant mesuré à l’aune de la moyenne française de 1,85, mais il cache de profondes disparités entre par exemple la CRN et la CAVAMAC (1,2 et 0,44) d’une part et la CARPIMKO et la CIPAV (3,83 et 3,61) de l’autre.
On comprend aisément que plus le rapport démographique est favorable, plus la situation du régime est confortable : il y a beaucoup de cotisants et peu de retraités, mais la situation peut s’inverser dans le temps lorsque les actifs arrivent à la retraite et ne sont pas remplacés par un nombre suffisant de successeurs.
On comprend également que plus les réserves (colonne XI) sont importantes et mieux la pérennité du régime est assurée. Ceci est important pour tous les régimes, mais plus particulièrement pour le régime de base qui est en outre concerné par la compensation démographique établie au niveau national.
L’importance des pensions
Le niveau moyen des pensions (base + complémentaire) de 14 108 € (1 175 € par mois) devrait mettre un terme au mythe qui voudrait que les retraités des professions libérales soient des nantis parmi les nantis, surtout si on considère le niveau de formation, l’âge de départ en retraite (colonne VII) et les horaires qu’ils ont fréquemment pratiqués. On note des écarts importants entre par exemple la CRN (34 971 €) et la CIPAV (6 466 €), mais ces écarts s’expliquent essentiellement par la durée de carrière et l’importance du travail à temps partiel.
Concernant les conjoints survivants (colonne VI), la pension de réversion est en moyenne de 6 871 € par an mais les écarts sont là aussi considérables entre par exemple la CRN et la CARPIMKO, justifiés en grande partie par le niveau de la pension du défunt.
Au-delà du niveau présent des pensions, se pose également la question de son évolution et ceci mérite d’être considéré séparément pour le régime de base et les régimes complémentaires.
Pour le régime de base, entre 2011 et 2010, la pension moyenne a progressé de 3,7 %, mais ce chiffre ne doit pas faire illusion car il résulte essentiellement de l’ »effet de noria » : les nouveaux retraités ont généralement des droits supérieurs à ceux qui s’éteignent. Pour les retraités présents-présents, la hausse a été plus modeste, approximativement en ligne avec l’indice des prix. Le futur est préoccupant avec les velléités répétées des responsables de réduire les pensions (désindexation, report de revalorisation, fiscalisation…).
Pour les régimes complémentaires, la situation est plus délicate et de nombreuses caisses ne parviennent pas à maintenir le pouvoir d’achat des pensions qu’elles servent. Sur la période 2009/2012, l’inflation a été de 5,47 % et, seules deux caisses ont pu réviser leurs prestations du même montant, la section C de la CRN et la CARPIMKO. Six autres caisses ont pratiqué des hausses très proches de l’inflation, mais deux caisses, la CAVOM et la CAVEC n’ont pu faire mieux que 2,56 ou 3,86 %.
Le souci de l’équilibre
Depuis plusieurs années la plupart des caisses complémentaires libérales ne garantissent plus à leurs ressortissants le strict maintien de leur pouvoir d’achat et si, pour l’instant, les décrochages observés demeurent encore modérés, leur répétition dans le temps (la durée moyenne d’une retraite se joue sur une vingtaine d’années) et la crainte même de leur aggravation liée aux incertitudes législatives présentes a de quoi inquiéter des cohortes de retraités, qui n’ont pourtant pas eu le sentiment de faillir à la solidarité nationale durant leurs longues périodes d’activité.
Toutes veulent préserver ou restaurer leur équilibre à long terme et suivent attentivement les deux indices de performance que sont l’indice de rendement et l’importance des réserves (colonnes XI et XII), l’indice de rendement exprimant le rapport entre la valeur de service (pension) du point de retraite et son coût d’acquisition (cotisation). Il est censé mesurer la rentabilité financière du « placement » retraite, mais son interprétation est délicate car ses variations peuvent avoir une multitude de causes.
Conclusions
Pour élargir notre propos aux réformes qui se profilent, relevons que l’obligation rigoureuse et saine d’équilibre entre prestations et cotisations qui pèse légalement et financièrement sur nos régimes, ne prévaut pas partout. Rappelons que l’Etat pour financer les pensions de sa propre fonction publique s’oblige à un taux effectif de cotisation patronale vieillesse « auto-ajustant » pratiquement quadruple de celui en vigueur dans le secteur privé, sans compter les subventions à milliards d’euros en faveur des régimes spéciaux.
Ainsi tous ceux qui s’apprêtent à nouveau à réformer le système de retraite, obnubilés par la perspective de grèves, les menaces catégorielles et le clientélisme électoral feraient bien de comprendre que les efforts les plus significatifs ne peuvent pas toujours peser sur les mêmes.
De même, tous les gestionnaires qui, à tous les niveaux, ont la lourde charge de piloter quotidiennement le système complexe des retraites libérales ne doivent jamais oublier qu’au-delà de la préservation des équilibres financiers, ils ont charge du bien-être des retraités actuels qui ne sont que médiocrement représentés dans les conseils des caisses. Ils ont aussi à faire comprendre aux cotisants que les efforts qui pourraient leur être demandés sont la meilleure garantie de leur situation future.
La Nation est aujourd’hui traversée par suffisamment de lignes de fractures pour ne pas y ajouter une sorte de guerre des retraites, aux effets durablement délétères. Nul doute en effet que ses ravages se feraient probablement sentir bien plus longtemps que ne peuvent l’imaginer nos économistes et nos prévisionnistes en chambre, dont l’inébranlable certitude d’avoir raison sur les trois à quatre décennies à venir contraste douloureusement avec leur incapacité chronique à balayer précisément l’horizon le plus immédiat des quatre ou cinq prochaines années.
(1) Le régime fonctionne par classes de 3 à 13. La classe 3 constitue un minimum obligatoire, les autres étant optionnelles. Une partie de la cotisation, 5 000 € est gérée en répartition et le solde en capitalisation. La cotisation de la classe 3 est de 7 000 € dont, comme indiqué ci-dessus, 5 000 gérés en répartition.
* Les professions réglementées
Administrateur judiciaire |
Greffier auprès des tribunaux de commerce |
Thierry Benne
Article paru dans le Courrier des retraités Septembre 2013
Lien vers le site : http://www.retraites-ufr.com