Pour faire face au vieillissement de la population et à la prévalence importante des maladies neurodégénératives, un collectif de médecins du centre hospitalier du Lamentin en Martinique a mis en place une consultation mémoire.
Il s’est fixé pour objectif d’aller à la rencontre de la population, de l’informer afin de permettre un repérage et un diagnostic précoce. La prise en charge et l’accompagnement font également partie des ses missions.
À l’horizon 2030, la Martinique sera l’une des régions françaises les plus âgées [1]. En effet, elle a le profil mixte d’un pays développé́ avec une politique sanitaire “riche” et évoluée proche de ses aînés. Néanmoins, le vieillissement de la population est très rapide (tableau 1). La Martinique est passée du 23e rang en 1999 au 5e rang des régions les plus âgées après le Limousin [2].
Épidémiologie et santé publique
Ce vieillissement de la population entraîne l’augmentation du nombre de pathologies chroniques physiques et/ou psychiques, dont la maladie d’Alzheimer qui progresse inexorable- ment avec l’âge. À partir de 85 ans, une femme sur quatre et un homme sur cinq sont touchés. Le nombre de personnes atteintes de troubles cognitifs sévères en Martinique est estimé entre 5000 et 7000, avec 530 cas incidents annuels. La prévalence [3] est supérieure à celle observée au plan national [4]. Ceci s’explique probablement par le niveau d’études de la population faisant l’objet de cette étude (75 ans et plus), plus bas qu’au niveau national. En effet, d’après l’étude Paquid [4], à partir des cas incidents, le risque relatif de démence est augmenté significativement chez les sujets qui n’ont pas obtenu le certificat d’études (RR=1,80). D’autres causes (génétiques, environnementales) peuvent aussi expliquer cette différence. Près d’une personne sur quatre de 75 ans et plus vivant à domicile en Martinique présente des troubles cognitifs sévères [5], ce qui nécessite une forte implication des aidants familiaux.
Co-pathologies prépondérantes sur l’île
L’étude martiniquaise ERMANCIA [5] a montré une sur-incidence (2,02/1 000 habitants/an) des acci- dents vasculaires cérébraux (AVC) en
Martinique d’environ 40 % par rapport à la France métropolitaine (1,45/1 000 habitants/an) alors que l’étude guadeloupéenne de Lannuzel et al [note] rapporte une mortalité de 1,8 fois supérieure à celle observée dans l’Hexagone. La forte prévalence de l’hypertension artérielle dans les populations noires métissées aurait, pour les auteurs, de ces deux études, une responsabilité prépondérante dans leurs observations. La maladie d’Alzheimer est connue pour être multifactorielle, avec la responsabilité des maladies chroniques telles l’hypertension et le diabète. Ainsi ces facteurs de risque – prédominants dans notre population –participent à la forte prévalence de la maladie neurodégénérative sur l’île.
Besoin de santé publique
Dans ce contexte, pour répondre à un besoin de santé publique, le centre hospitalier du Lamentin (972) s’est doté d’une consultation mémoire (CSM) depuis 2008, dont les objectifs sont : diagnostiquer une maladie d’Alzheimer ou autres pathologies chez des patients présentant une plainte mnésique ; informer et de sensibiliser le grand public sur les troubles de la mémoire par des conférences- débats dans les communes de l’île par le biais d’associations, de mairies ; former les acteurs de terrain que sont les aidants familiaux et les auxiliaires de vie par une “formation à l’aidant” reposant sur cinq modules orchestrés par des soignants différents dont une infirmière.
Diagnostics et prise en charge des malades et des familles
La CSM du Lamentin et l’association Neugeron [6] travaillent en partenariat avec le tissu associatif de l’île afin de sensibiliser le grand public sur les premiers signes de la maladie d’Alzheimer. Il ne s’agit pas d’inciter au dépistage systématique, car en l’absence de traitement curatif, cette stratégie n’est pas pertinente au plan de la santé publique. En revanche, il est utile de reconnaître la maladie chez des personnes qui ont des signes évocateurs afin de poser un diagnostic précoce.
Ainsi, pour enrayer un diagnostic tardif (c’est-à-dire après cinq ans d’évolution), une prise en charge parfois inexistante pour des troubles cognitifs avérés ou une mise en route de traitement retardée, nous rencontrons la population martiniquaise, avec l’objectif de l’informer sur les symptômes annonciateurs de la maladie mais également en portant à sa connaissance un volet de prévention des multiples facteurs concernant la maladie.
Retard de diagnostic
Très souvent, les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer ne sont pas identifiés ; les proches et le malade lui- même ayant tendance à mettre les troubles de la mémoire sur le compte de l’âge. Des familles confrontées à la maladie d’Alzheimer ou aux premiers signes de celle-ci ont besoin d’une “orientation de proximité” afin de pouvoir s’adresser aux professionnels les plus proches et les plus susceptibles de les aider dans la prise en charge de la maladie. La problématique de la maladie d’Alzheimer revêt plusieurs aspects : la nécessité de renforcer, voire d’acquérir des connaissances ou de modifier certaines représentations erronées ou des croyances ancrées (« il est âgé, c’est normal », « elle retourne dans l’enfance ») et de développer des comportements adaptés dès qu’une présomption de signes cliniques évocateurs apparaît chez un des membres de la famille.
La pudeur des personnes vieillissantes à communiquer leur souffrance est connue et le déni est plus un mode de relation à la douleur qu’une volonté de tricher avec soi ou autrui [7]. Le faible niveau socioculturel, souvent associé à l’illettrisme de nos communautés rurales, renforcé par la barrière de la langue (patients âgés créolophones) participent probablement à cette difficulté à exprimer les émotions et donc au retard dans le diagnostic. Les croyances religieuses y contribuent également. Très ancrées dans notre population, elles conduisent la personne âgée à « se confier à Dieu » plutôt qu’à un professionnel de santé.
Les objectifs de la consultation
Les objectifs de cette CSM sont multiples et se sont précisés au fil du temps, en réponse à des besoins identifiés de la population :
- Authentifier un trouble mnésique et le diagnostiquer comme pathologique si c’est le cas avec la prescription d’un bilan neuropsychologique si besoin ;
- Instaurer un traitement symptomatique, un suivi et un réajustement thérapeutique selon l’évolution ;
- Proposer une prise en charge non médicamenteuse lors de l’annonce du diagnostic (ateliers mémoire, groupes de parole et suivi psychologique…) ;
- Mettre en place les aides nécessaires identifiées par l’assistante sociale ;
- Informer les familles et objectiver un burn-out par des consultations de prévention ;
- Prévenir les situations de crises ;
- S’assurer des relations avec les structures médico-sociales.
La CMS se veut bien plus qu’un repérage et un lieu diagnostic de la maladie d’Alzheimer. C’est pourquoi, outre une information sur les signes de la maladie auprès d’une population bien souvent peu informée, un accompagnement global au cours de la progression de la maladie chez nos patients est mis en place. Une infirmière formée à cette entité y a un rôle important (voir encadré).
Prise en charge spécifique
Patients et aidants doivent être soutenus tout au long de la pathologie et informés des possibilités d’émettre des choix pour leur prise en charge, que ce soit de leur propre initiative, quand c’est encore possible, ou par un proche désigné. Groupe de parole, soutien psychologique sont proposés aux patients et aux aidants familiaux ; ateliers et stimulation mémoire aux patients. Une session de formation sur la maladie d’Alzheimer a également été mise en place pour les aidants familiaux, dont une session assurée par l’infirmière. Ce processus de soins et d’accompagne- ment, individualisé et personnalisé constitue un levier important pour le maintien à domicile, puisque les structures d’accueil de personnes dépendantes sont insuffisantes sur le territoire. L’objectif est aussi la consolidation des relations sociales de la personne diagnostiquée indispensable à une prise en charge optimale.
Action sur le terrain
Incluant l’amont et l’aval de la consultation mémoire, une approche globale de la problématique “maladie d’Alzheimer et la société martiniquaise” a été choisie. Elle se compose d’une campagne médiatique en créole et français « Koumancé pèd tèt mwen » (je commence à perdre la mémoire) renforcée par des actions (tableau 2) sur le terrain visant les professionnels (lettre gériatrique), les associations et le grand public. Une population peu encline à la consultation mémoire de par sa ruralité, son infrastructure insuffisante et un bas niveau culturel est ainsi drainée.
Conclusion
La population vieillissante croissante est un défi sociétal dans un territoire en déficit d’accueil institutionnel (60 places pour 1 000 personnes de 75 ans et plus contre 157 en moyenne en métropole). Du fait d’une forte prévalence de la maladie d’Alzheimer (supérieure aux chiffres nationaux) et d’un retard de diagnostic, la consultation mémoire du Lamentin a mis l’accent sur un travail de terrain et de rencontre avec la population.
Diagnostiquer des patients atteints de la maladie d’Alzheimer de façon précoce nécessite un repérage par le médecin traitant et l’entourage familial, ce qui permet de retarder l’apparition de la perte d’autonomie. Ceci implique de remettre en cause l’idée selon laquelle perdre la mémoire est banal avec l’âge.
Informer le public, les professionnels de santé par une communication adaptée et ciblée, soulager par des groupes de paroles, en accompagnant les patients par des ateliers mémoire et des soutiens psychologiques font partie d’une dynamique instaurée à l’intérieur du pôle gériatrique du centre hospitalier du Lamentin qui a permis de réaliser un maillage relationnel important entre les porteurs du projet, les médecins libéraux et les autres professionnels de la santé.
Carolle Chatot-Henry, gériatre, chef de pôle
Cxxx Leuly-Joncart,
Sxxx Ivrisse,
Exxx Larribe, neuropsychologues cliniciennes
CxxxAuroux,
Axxx Diakité, Praticiens Hospitaliers, court séjour gériatrique
Vxxx Laraillet, Rxxxx Anquetil, gériatres, consultation mémoire Centre hospitalier du Lamentin, pôle gériatrique, Martinique (972) [[email protected]]
Notes
[2] Modèle de projection démographique Omphale, www.insee.fr
[3] Merle S et al. Prévalence de la maladie et des troubles apparentés chez les personnes de 75 ans et plus vivant à domicile en Martinique. Observatoire de la santé, octobre 2010.
[4] Dartigues JF, Gagnon
M, Michel P, Letenneur L, Commenges D, Barbeger- Gateau P et al. The Paquid research program on the epidemology of dementia : methods and initial results. Rev Neurol 1991 ;147:225-30.
[5] Chatot-Henry C et al. Analyse de la cohorte ERMANCIA à 5 ans : prise en charge thérapeutique. Revue de gériatrie 2007 ; vol. 32 ; 9 : 683-89.
[6] association http:// www.neugeron.fr/index. php?page=accueil
[7] Thomas P, Hazif-Thomas C. Dépression, présentation clinique et diagnostic chez la personne âgée ; Revue de gériatrie ; tome 28 ; mars 2003 : 247-58.
La consultation mémoire permet d’objectiver et d’évaluer de façon précise le trouble de la mémoire et, en cas d’anomalies, d’en rechercher la ou les causes. L’infirmière apporte un regard particulier à un profil de patients nécessitant une approche spécifique. En effet, le trouble est souvent démasqué par l’entourage du fait de l’anosognosie* fréquemment inhérente aux maladies neurodégénératives. L’évolution qui est une perte d’autonomie progressive en fait une maladie chronique et handicapante.
De ce fait, le rôle de l’infirmière est centré sur les capacités restantes de l’individu. Elle informe, priorise les tâches et responsabilise le patient par son accompagnement en tenant compte des valeurs, des préférences et des choix de chacun. Savoir répéter et s’adapter est essentiel.
Le parcours de soins s’inspire de valeurs humanistes. L’infirmière tient compte des ressources de la personne, de son autonomie et de son développement en agissant dans une perspective globale tant avec le malade qu’avec la famille. Sa collaboration avec l’équipe multidisciplinaire est le pivot pour une prise en charge de qualité.
Outre l’accueil du patient accompagné le plus souvent de sa famille, l’infirmière recueille :
- l’anamnèse* auprès du patient et de son entourage ;
- la liste des médicaments ingérés par le patient.
Elle évalue :
- les activités de la vie quotidienne en quatre items comportant l’utilisation du téléphone, des transports en commun, la prise des médicaments et la gestion du budget (test de Lawton). Ce test n’est pas un test. d’évaluation cognitive mais d’évaluation du degré d’autonomie ;
- l’autonomie psycho-intellectuelle et physique (AVQ) ;
- les difficultés cognitives dans la vie quotidienne (questionnaire de plainte mnésique de McNair) ;
- et la dimension affective de la plainte mnésique. Des examens complémentaires comme un électrocardio- gramme peuvent être pratiqués après prescription.
Elle permet par son action et sa collaboration au sein d’une équipe multidisciplinaire :
- une formation à l’aidant dont un module est sous sa responsabilité ;
- le maintien à domicile dans les meilleures conditions possibles, tant pour eux que pour les aidants ;
- l’aide et le soutien des familles, de les soulager en leur offrant une écoute attentive. Par ailleurs des tests d’évaluation cognitive, plus communément appelés tests de mémoire dont le Folstein*, sont indispensables pour repérer et diagnostiquer la maladie d’Alzheimer Ces tests permettent d’évaluer différentes fonctions cognitives parmi lesquelles la mémoire, le langage, les praxies, et l’attention. Ces tests sont pratiqués par des médecins spécialisés gériatres ou neurologues et des neuropsychologues.
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Notes * anosognosie : incapacité pour un malade de reconnaître et d’admettre la réalité de sa maladie, même si elle est évidente. * anamnèse : histoire des différents événements passés de la vie d’un patient. * Follstein SE, McHugh PR. Mini Mental state. A pratical method for grading the cognitive state of patients for the clinician. J Psy res 1975 ; 12 : 189-98.
Article paru dans « La revue de l’infirmière en janvier 2012 – n° 177