L’évolution de la gériatrie saura-t-elle s’adapter aux besoins d’une société marquée par ses nombreux clivages ?
La gériatrie, dans son acceptation actuelle, est une « jeune » spécialité de la médecine datant de l’après-guerre même si c’est à la fin du 19 ème siècle qu’en sont apparus les prémices.
Interview du Dr Carolle Chatot-Henry, gériatre qui nous parle de l’évolution de la gériatrie.
Comment se place la gériatrie dans la médecine actuelle ?
Comme toutes les spécialités médicales ainsi que la médecine générale, notre regard sur la santé est appelé à changer. Tout autant pour répondre aux besoins de patients vieillissants de plus en plus nombreux, qu’à une technologie de pointe, qu’à des traitements innovateurs et performants mais aussi au visage d’une société qui verra le nombre de ses actifs diminuer.
La dépendance doit alors être encadrée, accompagnée avec cette idée maitresse au cœur de notre métier qu’est la dignité. Elle doit rester cette idée de compenser une perte d’autonomie, et même si la prise en charge de cette dépendance reste dynamique, elle doit s’articuler à ce large champ en amont de « bien vieillir ».
Il s’agit de vieillir en « santé » mais aussi de cibler des facteurs de risque amenant à la chronicité des maladies, et, d’avoir les mesures adéquates pour accompagner certaines pathologies. Aussi, peu à peu, le paysage médical se transforme : le patient devient acteur de son parcours de soin, mais encore plus large auteur de son parcours de vie. La Haute Autorité de Santé en décrit la « modélisation » dans ses nombreuses recommandations. Les réseaux « ville », la C.G.S.S, les mutuelles et nombre d’associations ont compris l’enjeu qui a donné lieu à la loi ‘adaptation de la société au vieillissement’.
Que devient la gériatrie dans cette évolution des soins ?
Les gériatres ne peuvent plus penser seulement « curatif » : la prévention doit être au cœur de la prise en charge des seniors. Le relais doit s’appuyer sur des organisations territoriales en maillage au plus près des vieux qui souhaitent restés chez eux, voire y mourir. En ce sens, l’EHPAD à domicile répond à cette orientation.
La médecine change avec l’apport de la technologie et se met au service de la surveillance des maladies chroniques, qui touchent essentiellement la population âgée. Les téléconsultations, les télésurveillances, la domotique sont des avantages pour une prise en charge optimale des seniors. Si une montre connectée arrive à nous faire marcher les 10 000 pas souhaités de l’OMS, imaginez l’aide des nouvelles technologies pour anticiper certains problèmes de santé et inciter à l’activité ou comprendre le bon usage des médicaments.
La gériatrie est au 1er rang pour cette évolution médicale. Elle est totalement concernée par la graduation exponentielle des maladies chroniques. On ne peut plus ignorer le nombre impressionnant de données médicales (appelées « Big Data ») et les objets connectés pour détecter une déshydratation par exemple.
Affectée également par des mesures ministérielles, comme le déremboursement des médicaments dans les processus neuro dégénératifs, la gériatrie doit miser sur la prévention. Elle doit se tourner vers les générations plus jeunes dans leur vieillissement. C’est une médecine globale qui doit aussi accompagner les autres spécialités médicales. Il faut qu’elle s’appuie sur les expériences de chacune. Elle doit assurer une transversalité pour la prise en charge des « jeunes vieux » aux « très grands vieux ».
Comment assurer une prévention alors que la plupart des gériatres exercent à l’hôpital ?
Le rôle de l’hôpital n’est pas la prévention en soi, même s’il est amené à des actions concrètes dans les services (diabétologie, addictologie, aidants…). La prévention se réalise là où les gens bien portants ou à risque habitent : c’est à la gériatrie de se déplacer.
A mon avis, avec le désert médical qui se dessine, le médecin généraliste ne pourra pas répondre aux besoins – par exemple – d’une femme de 93 ans autonome mais isolée. Car il s’agit d’y répondre par une prise en charge globale, médico-psycho-sociale et environnementale. L’idée de réseaux, de filières, de parcours de soins… s’en approche avec des acteurs de terrain « formés ».
Dans ce sens, l’aide-ménagère, l’assistante de soins en gérontologie, l’infirmière ou une équipe mobile de professionnels de santé pourront détecter les incapacités, les fragilités au mieux car plus aptes à évaluer en « écologie » du domicile et donc des actes quotidiens.
Après leur évaluation, un avis médical est à envisager selon le résultat d’échelles normées. Dans les situations normales, le patient bénéficiera de conseils dits ‘automatisés’. Il s’agit de repenser la médecine, comme un parcours de santé depuis le plus jeune âge où l’Homme est investi dans son capital santé en développant un objectif « prévention » alors que des avis et des repérages par des professionnels de santé à domicile pourraient répondre déjà à de nombreuses questions « primaires » lors de l’avancée en âge.
De là, la notion de nouveaux métiers dans le monde paramédical. Il n’est pas question de remplacer les gériatres (spécialité médicale guettée aussi par la pénurie) mais de la diffuser là où les personnes âgées résidant… chez elles ! Et nombre de professionnels (kinésithérapeutes, ergothérapeutes, psychologues, infirmières…) mais aussi des aides au service de la personne ont un profil de compétences pour un repérage, une prise en charge globale d’une gériatrie à domicile. Une formation continue pourrait remodeler leurs différentes missions et optimiser une prise en charge en continu, sans les « points de ruptures » fréquents en gériatrie, à la sortie de l’hôpital par exemple.