L’âge est le facteur de discrimination le plus lourdement ressenti au travail. En effet, selon une étude TNS Sofres pour le Medef publiée en octobre 2017, un salarié sur deux a peur d’être discriminé au travail. Notre société ferait-elle preuve d’âgisme ?
Rencontre avec le Dr Chatot-Henry Carolle gériatre afin d’aborder la notion de l’âgisme. C’est un concept encore peu connu et pourtant bien présent dans notre quotidien et notre regard sociétal. Son mode de survenue est insidieux et se retrouve mondialement répandu sans pour autant le cibler ou le définir précisément …
Quelle est la définition de l’âgisme ?
Ce concept est né avec son nom en 1969 par Roger Butler, gérontologue et s’apparentait à la discrimination des personnes âgées. Actuellement il s’agit d’un terme plus large abordant la ségrégation liée à l’âge, quel que soit celui-ci.
Quelle en est la proportion ?
C’est un phénomène largement répandu dans le monde. En effet, il concerne plus spécifiquement les personnes âgées, celles–ci avoisinant deux milliards d’ici 2050, les chiffres supposés sont en conséquence. L’âgisme est une pratique notée bien au-delà du sexisme, du racisme ou de l’homophobie. Selon une enquête réalisée entre 2002 et 2006, la discrimination liée à l’âge est plus importante dans le secteur des biens et des services à autrui.
En 2014, les pays du monde entier ont reconnu que l’âgisme « est à la fois la source commune, la justification et l’élément moteur de la discrimination fondée sur l’âge».
Quelles en sont les causes ?
Comme souvent pour expliquer l’exclusion, la méconnaissance du sujet, du vieillissement pour ce qui concerne l’âgisme, en est le support. Ne pas connaître fait ignorer la thématique et ses réponses. Pour rappel, le vieillissement est un continuum depuis l’enfance. Il s’ensuit qu’aborder ce pan d’âge ne peut se faire sans l’histoire de la personne, de sa dignité ou de ses choix…
Outre la notion du vieillissement, on méconnait bien souvent les personnes âgées et leurs problématiques : disparition des commerces de proximité, difficulté de transport si l’on habite en zone rurale, dispersion des enfants induisant un isolement social sans oublier la précarité qui fragilisent un peu plus cette tranche d’âge.
Une autre cause est la désinformation via la publicité ou des documentaires médiatiques où la richesse de certains retraités (croisiéristes par exemple) est exposée alors que de nombreux retraités ont une réelle difficulté financière pour eux-mêmes mais aussi parce qu’ils soutiennent financièrement leurs enfants. Ainsi, les Martiniquais de 60 ans et plus présentent la particularité d’apporter à leur famille ou à leur entourage plus d’aides qu’ils n’en reçoivent. C’est particulièrement le cas pour les aides financières : ils sont quatre fois moins nombreux à en recevoir (3 %) qu’à en apporter (12 %), principalement à leurs enfants (1).
Une part est aussi dévolue aux ainés eux-mêmes qui ne trouvent pas leur place dans une société éclectique avec des valeurs qui privilégient le « jeunisme » et favorisent une beauté du « corps et de l’esprit ». Leur comportement parfois est source de rejet des plus jeunes car ils ne veulent pas intégrer des paramètres innovants comme la technologie qui devient le « substratum obligé » de nos existences. L’adaptabilité est un équilibre entre les DEUX mondes représentés par l’âge qui n’est qu’UN représenté par le parcours de vie.
Quelles en sont les conséquences sur la santé ?
Sur le plan individuel, les personnes âgées ayant une image négative de la vieillesse sont en moins bonne santé physique, moins engagées dans des comportements de prévention (sport, manger sainement, arrêter de fumer…), avec des problèmes cardiovasculaires et un déclin mnésique plus marqué comparativement à des individus du même âge ayant une perception davantage positive du vieillissement. Plus encore, leur espérance de vie est moindre de 7,5 années (2).
Comment peut–on lutter contre cette discrimination ?
Il s’agit d’une grande « entreprise » allant de l’éducation des plus jeunes à la connaissance des adultes au vécu des ainés et de leurs ressentis. D’une façon générale, en parler est déjà en faire prendre conscience que ce soit aux politiques, aux médias ou à la population. Des lois anti-discriminations comme la loi d’adaptation de la société au vieillissement, des campagnes d’information ou conférence (3), des expériences d’équipes intergénérationnelles au travail, la formation des soignants ou employeurs et prestataires de services sur ce thème … se rapprochant alors de l’ « humanitude » (voir rubrique senior du 12 juin 2014) sont autant de points à approfondir.
Le vieillissement pourrait être abordé dès la scolarisation car la mondialisation éloigne les générations de part les territoires et les grands-parents ne représentent plus les piliers présents de nos jeunes années sauf en virtualité représentée par des « SIMS » aux cheveux blancs en très bonne santé (4).
Il faut répandre le « positivisme » du vieillissement en mettant en avant les avantages que procure l’expérience, la maitrise, la sagesse mais aussi le poids économique (enquête ciblée) et les emplois (études de marché) gravitant autour de la sphère gérontologique. Tout cela est à valoriser « par et pour » une vision équilibrée des différents acteurs cités.
Sources :
(1) Ined
(2) Levy BR et al. Memory shaped by age stereotypes over time. J Gerontol B Psychol Sci Soc Sci 2012 ; 67 : 432-6.
(3) Conférence à Cayenne le 29 sept 2017 sous la tutelle de AMDOR Guyane
(4) SIMS : jeu vidéo de simulation de vie sorti en 2000