Suite de notre entretien avec le Dr Eliane Catorc du réseau Wouspel et de l’association ASPM, l’Association des soins palliatifs de la Martinique. Comment gérer la fin de vie – 2ème partie.
En quoi la loi du 2 février 2016 constitue une avancée majeure en faveur de la fin de vie ? Pourquoi une campagne de communication nationale ?
Je ne parlerais pas d’avancée majeure mais de renforcement des droits des malades et des personnes en fin de vie par rapport aux précédentes lois. Ces dernières malheureusement, fort peu connues tant de la population que des professionnels de santé eux-mêmes, étaient par conséquent peu et mal appliquées. La loi de février 2016 cherche à rendre effectif l’accès aux soins palliatifs, notamment à domicile, en réclamant notamment des soignants qu’ils se forment aux soins palliatifs. Elle entend donner plus de poids à l’autonomie de la personne malade, qui après information éclairée, décide ce qui pourrait relever pour elle de l’acharnement thérapeutique ou non. Elle a ainsi le droit de refuser tout traitement. Si la personne qui n’est plus dans la capacité d’exprimer sa volonté, celle-ci doit tout de même être recherchée par le médecin qui ne peut pas non plus décider seul de la pertinence de l’arrêt, la limitation ou de la poursuite de traitement, qui pourrait relever de l’obstination déraisonnable. Une procédure collégiale sera suivie au cours de laquelle les directives anticipées et les dires de la personne de confiance témoigneront de la volonté du patient. La nouvelle loi renforce les missions de la personne de confiance et incite à la rédaction des directives anticipées. Ces dernières désormais, sans limitation de durée, mais révocables, à tout moment, s’imposent aux médecins pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale ou quand elles paraissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. Ce dispositif mal connu fait l’objet actuellement d’une campagne au niveau national.
La nouveauté consiste en, dans certaines circonstances, la possibilité pour le patient de demander afin « d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès ». Plus qu’une avancée, les nouvelles modalités voulues par le législateur questionnent fortement. La sédation envisagée est profonde donc son intensité n’est plus celle requise, comme jusqu’alors, par la situation singulière du patient. Continue et non plus réversible, elle est définitive puisqu’elle va jusqu’au décès. Le risque de passer d’une sédation en phase terminale de la maladie, qui suivant le principe éthique du double effet, vise non pas à provoquer la mort mais à soulager la personne, à une sédation terminale dont le but serait d’accélérer la survenue du décès est bien réel.
Diriez-vous que les Martiniquais sont sensibilisés à la fin de vie et aux soins palliatifs ?
Non. Il y a un déficit d’information non seulement dans le Grand Public mais aussi chez les professionnels de santé. La conséquence est qu’ils ne sont pas mis en œuvre, ou alors trop tardivement. L’ASPM tente d’y remédier par ses actions d’information et de formation à destination de tous les acteurs intégrant des approches pédagogiques innovantes. Ainsi les 26 et 27 avril une formation à des destination de professionnels de santé intégrera des ateliers de simulation en santé. Le grand public bénéficiera également le 28 avril lors d’une conférence « La fin de vie, si on en parlait…autrement », de l’intervention d’acteurs patients simulés pour approcher autrement ces questions si complexes. En mai va démarrer une action qui consiste à accueillir simultanément avec l’aide de bénévoles, des personnes malades qui expérimenteront des approches non médicamenteuses pour leur bien-être et à former leurs proches aidants et à les soutenir dans leur investissement si déterminant pour des soins palliatifs de qualité. Le site Internet de l’ASPM s’emploie par ailleurs diffuser la culture palliative en Martinique.
Evoquer la fin de sa vie est-elle un tabou dans notre culture martiniquaise ?
Je ne parlerai pas de tabou mais plutôt de forts mécanismes inconscients de défense « quand j’aperçois le profil de ma mort ». Ce qui est difficile à évoquer car finalement impensable c’est la mort en « Je ». Même si nous nous savons mortels, l’idée de ma propre mort ou de la mort en « tu », celle d’un proche qui me renvoie inévitablement à la mienne, est finalement inacceptable. Ce n’est pas la mort en « il » ou en « eux », comme elle se présente en abondance et avec complaisance par exemple sur nos écrans de télévision, qui pose problème. Si très peu de personnes rédigent leurs directives anticipées, mêmes lorsqu’elles sont informées de cette possibilité, c’est sans doute parce qu’il nous est dur de nous projeter dans des situations que nous redoutons sans pour autant pouvoir y croire.
Cependant réfléchir à ce que je souhaite pour les derniers temps de ma vie, en faire part à ma personne de confiance et/ou à mes proches et exposer mes choix par écrit dans mes directives anticipées, c’est aider, par avance, ceux que j’aime et ceux qui me soigneront, à prendre les meilleures décisions dans le respect de mes convictions personnelles exprimées.
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