Nous avons rencontré Marie, 85 ans, à Paris pour l’interviewer. Elle respire la joie de vivre du haut de ses 85 ans. Martiniquaise au fond de son cœur, elle a passé la majorité de sa vie en dehors de son île, en région parisienne et ne reviendra plus vivre en Martinique. Elle fait partie du tiers des natifs des Antilles, de Guyane et de Mayotte (INSEE – 2017) qui ont choisi de vivre en dehors de leur île dans une autre région française.
L’histoire de Marie dont nous avons changé le prénom est comme de celles de nombreux Martiniquais ou Martiniquaises qui sont parties à un moment de leur vie en « l’autre bord ». Ils l’ont fait par choix ou par nécessité pour trouver du travail dans le cadre du BUMIDON, créé en 1963.
Marie a passé toute son enfance dans la campagne du Gros-Morne. Dans les années 40, elle a connu des moments d’immense joie auprès des siens et d’autres plus difficiles. En 1962, elle a choisi de partir vivre à Paris où elle s’est mariée.
Pouvez-vous me raconter votre vie avant de partir pour l’hexagone ?
Je vivais au Vert-Pré. J’allais à pied à l’école au Gros-Morne. C’était parfois difficile car le trajet était long (1 h de marche par trajet). J’ai été élevée avec mes 3 grandes sœurs (je suis la dernière de la famille) par ma mère car j’ai perdu mon père très jeune.
Nous vivions à la campagne dans une maison faite de planches et de tôles. Ma mère allait vendre de temps en temps des légumes à Fort-de-France pour avoir un peu d’argent. Elle livrait aussi des cannes à l’usine. Même si les conditions de vie étaient spartiates, je garde un excellent souvenir de cette période car il y avait beaucoup d’entraide entre les voisins.
J’ai connu le temps de l’amiral Robert même si j’étais petite à l’époque. Nous avons beaucoup souffert. Par exemple, il n’y avait pas de sel et nous devions faire sécher l’eau de mer pour en obtenir. Nous faisions de l’huile avec de la noix de coco. Pour avoir un peu de poisson, il fallait se rendre à Trinité à pied. C’était vraiment loin !
Je suis partie vivre à Fort-de-France à l’âge de 18 ans où j’ai appris le métier de sténo dactylo. J’ai travaillé pendant quelque temps chez un employeur qui faisait de l’import-export.
Racontez-nous le moment où vous avez décidé de quitter la Martinique pour vous rendre dans l’hexagone ?
J’ai été invitée par ma sœur qui habitait depuis quelques années à venir à Paris où elle résidait avec son mari et sa fille. J’ai donc décidé de partir en 1962 après avoir démissionné. Elle m’avait incité à écrire à un de ses amis qui faisait son service militaire en Allemagne. J’ai entretenu avec lui une correspondance épistolaire depuis la Martinique sans même le connaître ! Je pense que ma sœur avait peut-être une idée derrière la tête car il est devenu mon mari !
En ce temps-là, deux bateaux faisaient la traversée vers la France, le bateau Antilles et le Colombie. Comme il n’y avait pas de place, j’ai pris un bananier pour me rendre en France. Ce fut épique ! Imaginez un peu ! Avant de partir, j’ai acheté des collants que j’ai mis à mon arrivée en plein mois d’août !
Votre intégration s’est-elle bien déroulée ?
Je n’ai, à mon sens, jamais rencontré de problèmes de racisme en tout cas de façon consciente. Je dois quand même signaler que j’ai rencontré quelques difficultés à trouver un logement. Peut-être y avait-il plus de réticence auprès de mes chefs mais rien d’insurmontable. Il faut dire que j’ai toujours résidé dans de grandes villes. Quand bien même, je n’ai pas connu de problèmes au sein de la famille de mon mari, originaire de province. J’ai ressenti plus de la curiosité que de la malveillance.
Quant à ma carrière professionnelle, j’ai pris quelques cours afin de me perfectionner en sténo dactylo à mon arrivée. J’ai travaillé à l’ORTF pendant quelques années. L’ORTF déménageant loin de mon domicile, j’ai intégré la sécurité sociale où j’ai terminé ma carrière au titre de contrôleur.
Je me suis mariée un an après mon arrivée avec le beau jeune homme originaire de Picardie que j’avais connu grâce à ma sœur et dont j’ai parlé auparavant. Nous formons un couple « domino » comme on disait avant. Je n’ai pas beaucoup fréquenté la communauté antillaise à Paris.
Pensez-vous poursuivre un jour votre retraite en Martinique ?
Je n’envisage pas repartir vivre en Martinique que j’ai quittée il y a si longtemps à l’âge de 25 ans. J’ai passé plus de 60 ans en dehors de mon île natale. Je n’ai plus d’attache sur place. Toute ma famille, mon mari, ma fille, mon petit-fils ainsi que mes amis résident près de moi, dans l’hexagone. De plus, j’ai des facilités ici que je n’aurais pas en Martinique si je devais y résider. Je pense que je m’y ennuierai ferme.
Si un Antillais devait partir s’installer dans l’hexagone, quels conseils lui donneriez-vous ?
Il faut rester soi-même parce que l’on va toujours rencontrer quelqu’un de malintentionné. Je crois qu’il faut faire face courageusement et avoir l’esprit large. Autrement, on est amené à se bagarrer tous les jours !
La rédaction vous conseille
Nos seniors ont du talent : Gisèle Vadius-Cibrélis
Nos seniors ont du talent : Gisèle Vadius-Cibrélis senior à la retraite, photographe et peintre amateur. Les seniors sont de plus en plus actifs quand ils sont à la retraite. Ils ne souhaitent pas vivre en dehors du monde et les journées sont souvent trop courtes à leur goût. Certains deviennent silver surfeurs et utilisent …