Aujourd’hui, il n’est plus rare de compter aujourd’hui cinq générations dans une même famille. Qu’en est-il des transferts intergénérationnels familiaux ?
Introduction
Nous n’aborderons pas, dans ce court article, les transferts non-matériels qui peuvent être considérables dans une même famille. Comment calculer la valeur des transmissions de savoir-faire, d’expériences, de relations, l’influence déterminante d’une mère, d’un père, d’un grand père, d’une grand-mère sur les enfants et petits-enfants ?
Elles peuvent être aussi décisives qu’incalculables, mais nous ne les traiterons pas ici.
L’évolution des transferts intergénérationnels
Depuis la nuit des temps et dans la plupart des espèces, la vie des enfants est protégée par les parents jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de l’assurer eux-mêmes. En retour, dans nos sociétés « civilisées », les enfants ont l’obligation de s’occuper de leurs parents quand la vieillesse les prive de leur force et qu’ils ne peuvent plus y arriver sans aide.
De familiale, bénévole et tacitement consacrée par un usage immémorial, la solidarité entre générations est devenu de nos jours, en partie, sociétale financière, et obligatoire. Chaque génération est désormais « entretenue » au cours de son ultime période « inactive » par le produit des cotisation« retraite» des actifs, lesquels constituent en même temps, tout au long de leur vie professionnelle, des droits à pension à venir. Un montage économique d’après guerre réussi, devenu aujourd’hui un problème très complexe : l’allongement de la durée de vie et la réduction des périodes actives qui ont fait passer le ratio de quatre actifs pour un retraité à bientôt un pour un (si rien ne change). Selon la sociologue Anne Marie Guillemard: « La logique du tout après guerre s’est défaite. Il faut repenser la solidarité ». Et le prophétique Frédéric Serrière, expert en vieillissement, d’ajouter : « la génération des ‘baby-boomers » n’a offert qu’un sursis pour réformer de fond en comble notre système de retraite actuel ». Nous en sommes encore loin, mais d’autres l’ont déjà fait.
Quelques chiffres
En 2035, on devrait compter, en France 21 millions de personnes de plus de 65 ans, (un peu plus de 14 millions aujourd’hui) soit à peu près un tiers de la population. Il n’est plus rare de compter aujourd’hui cinq générations dans une même famille. Ce qui donne toute sa force à l’art d’être grand-père et grand-mère. Les liens d’entraide entre générations qui, depuis longtemps ne vit plus sous le même toit, se traduisent notamment par des transferts financiers de parents et grands-parents, vers enfants et petits-enfants. L’importance de ces transferts, que la loi règlemente (et ponctionne au passage) est estimé à 33 milliards d’euros chaque année. Mais, quand ils ne sont pas trop important, les « dons manuels » – espèces ou chèques- sont possibles entre parents et enfants ou petits-enfants. Leur importance dépend, évidemment, de la solidité de la structure familiale, du niveau d’éducation et du revenu disponible. La plus grande partie des aides en espèces est utilisée pour financer l’ »élémentaire » : 45 % sont consacrés aux besoins de la vie courante, 52 % aux questions liées à l’éducation des enfants et petits-enfants. Selon l’INSEE, un couple de grands-parents dépenserait en moyenne chaque année, 600 € pour ses petits-enfants.
Les transferts immatériels
En contrepartie, les plus jeunes assistent physiquement et/ou financièrement quand ils le peuvent, les plus âgés. Nombre d’entre eux d’entre eux doivent tout à la fois élever leurs enfants et subvenir aux besoins de leurs parents qui y sont vieillissants. Les durées de vie plus longues augmentant à proportion le nombre « de grands seniors» dépendants, les jeunes générations ont le devoir moral– et financier – voire juridique d’aider ceux et celles qui n’ont pas les moyens d’un hébergement en maison de retraite qui a atteint ou dépasse 2500 € par mois. Une aide fiscale peut toutefois aider les « aidants familiaux » à remplir leurs obligations. Ne sont pas chiffrés, car trop complexes et divers pour être pris en compte, les transferts immatériels entre grands parents, enfants et petits-enfants et vice-versa. Comment calculer l’aide d’une grand-mère qui héberge gratuitement son petit-fils pour faciliter ses études ? Ou la petite fille qui fait les courses pour son grand-père impotent ? Ou le financement de séjours linguistiques ? Ou la gratuité des vacances chez les grands-parents ?
Où est le lien familial ?
Chamboulé par d’innombrables décompositions et recomposition, l’équilibre des structures familiales se transforme dans nos sociétés : divorce (50%), remariage, PACS, concubinages, monoparentalité … Le déroulement, autrefois classique, d’une existence : étude, entrée dans la vie active, mariage, enfants, petits-enfants n’est plus, depuis longtemps, un modèle standard. La société qui substitue l’obligation à la tradition, s’efforce de réglementer les indispensables échanges qui cimentent, d’un âge à l’autre, une société ouverte.
On ne peut guère attendre des générations actuelles, durement frappées par la crise, le chômage de masse et les salaires limités, une générosité héritée de la société de consommation. La crise économique, durable, change le regard sur les obligations vis-à-vis des aînés. Ceux-ci peuvent représenter une charge que certains souhaiteraient voir assumée intégralement par l’Etat, même si une enquête de la SOFRES considère que le lien intergénérationnel est assumé dans 82% des familles. Face à l’inévitable délitement des liens inter parentaux, une politique réaliste devrait proposer aux plus anciens des structures et infrastructures d’accueil plus nombreuses, plus chaleureuses et surtout plus abordables financièrement.
Une véritable « politique du troisième âge » devrait s’efforcer de mieux intégrer les familles, professionnels et bénévoles au sein d’organisations plus efficaces. On manque, dans ce secteur, de techniciens compétents et motivés pour tenter de rompre les isolements encore trop nombreux (plus d’un million de personnes âgées vivent totalement seules), pour réconforter, accueillir, aider à mieux vivre ceux et celles qui, toujours plus nombreux, ont et auront besoin d’assistance. Il est notoire que tous les politiques (de quelque bord qu’ils soient) ne se souviennent d’eux qu’en temps d’élection…
Notre courrier* a fait sienne est une des plus belles remarques de Claude Lévi-Strauss anthropologue et ethnologue, expert en sciences humaines : « on juge une civilisation au sort qu’elle réserve à ses anciens ».
Il y a énormément à faire dans notre pays, pour être jugé favorablement.
Jean Mauriès * Article paru dans le Courrier des retraités du mois d’avril 2015
Lien vers le site : http://www.retraites-ufr.com