Une mémoire se réveille t-elle… ? Voici un article original proposé par le Dr Chatot-Henry sur une animation réalisée autour d’une fête carnavalesque auprès de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à un stade sévère dans une unité de soins de longue durée.
Introduction
Carnaval ou pas de danse… À l’Unité de Soins Longue Durée du Centre Hospitalier du Lamentin (Martinique), l’ensemble de l’équipe a mis en place pour les résidents et leurs familles une animation autour du Carnaval. En tant que soignants, imprégnés aussi de cette tradition, nous nous posons la question: quelle est la répercussion d’une telle activité (gestuelle, auditive et visuelle) pour nos aînés, alors que leurs fonctions cognitives sont nettement altérées ?
Objectif
Chaque année, la période de Carnaval est vrombissante aux Antilles cinq jours durant… À l’USLD du Lamentin, les patients n’échappent pas à ce temps festif, l’objectif étant – avant tout – un temps de partage au rythme de chants carnavalesques et de sons d’Antan. Pourtant – en tant que soignants – nous nous sommes posés la question de l’impact d’une telle animation, pour une population atteinte de la maladie d’Alzheimer, sévèrement le plus souvent. Dans ce cadre de perte d’autonomie, quelle est l’approche des résidents pour la séance de maquillage, quels sont les souvenirs de nos aïeuls et leur participation alors que peu de capacités sont dites «restantes», et enfin quel est le point de vue des familles ?
Méthode et résultats
Pour répondre aux questions citées, le personnel a lui-même mis en place des outils définissant leur champ d’action; ainsi aux trois temps de la fête correspond une grille d’évaluation: indicateurs pendant le maquillage et déguisement (socio esthéticienne), participation verbale, gestuelle, orale et évaluation cognitive (neuropsychologue), grille de satisfaction auprès des familles (animatrice). Si les soignants avaient constaté qu’après une animation, les résidents étaient plus détendus, souriants et coopérants, ils peuvent aujourd’hui mesurer tout l’impact d’une animation orchestrée auprès de personnes déficientes.
Conclusion
Ce travail – réunissant l’ensemble des partenaires (soignants, administration, familles, bénévoles) autour de patients atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade sévère – a permis de mettre en évidence l’impact positif d’une animation par une équipe motivée, qui plus est dans une population empreinte d’une mémoire collective et culturelle tournée tout particulièrement vers le Carnaval. Temps d’une enfance pour certains …
Introduction
Alors que la plupart de nos patients sont atteints de la maladie d’Alzheimer, ils se retrouvent incapable de s’orienter dans l’espace et dans le temps [1], ce qui peut être accentué par la vie institutionnelle en l’absence de repères autobiographiques festifs ou familiaux … C’est pour cela que la recherche de repères temporels à l’Unité de Soins Longue Durée du Centre Hospitalier du Lamentin (Martinique) repose sur une activité festive fortement ancrée dans la tradition et les coutumes. Une sociabilisation pérenne à travers une fête annuelle qui est vécue depuis l’enfance.
Ainsi l’ensemble de l’équipe soignante a mis en place pour les résidents et leurs familles une animation autour du Carnaval. En tant que soignants, imprégnés aussi de cette tradition, nous nous posons la question: quelle est la répercussion d’une telle activité (gestuelle, auditive et visuelle) pour nos aînés, alors que leurs fonctions cognitives sont nettement altérées ?
Carnaval ou pas de danse… mais le « pas » est-ce une négation ou un mouvement corporel ?
Objectif
Chaque année, la période de Carnaval est vrombissante aux Antilles cinq jours durant … Notre objectif alors était – dans la mesure du possible – de « favoriser la participation active des résidents autour d’un événement culturel majeur de la société antillaise ». Également par le biais d’une animation appropriée [2,3], il était recherché la valorisation du patient à travers de beaux atours, d’un moment convivial parmi des proches et un regard différent accordé aux pensionnaires par une équipe soignante sensibilisée à cette fête. La valorisation de soi, chemin de l’estime de soi [4], est aussi le « prendre soin » qu’une apparence extérieure étaye de part son rayonnement auprès des autres.
Les patients sont interpellés par ce temps festif, manifestation organisée par le personnel, tout en étant avant tout un temps de partage au rythme de chants carnavalesques et de sons d’Antan. Nous avons souhaité mesurer au sein d’un projet d’animation l’impact d’une telle fête, alors que la plupart des résidents sont très dépendants et peu communicants.
Dans le cadre de perte d’autonomie progressive et sévère, qu’est l’atteinte des fonctions cognitives, nous avons donc mis en place des outils pour quantifier :
- Le vécu de nos résidents pendant la séance de maquillage
- Leur participation à l’activité alors que peu de capacités sont dites « restantes ».
- Et enfin le point de vue des familles
Méthodologie
Quatre séances de travail ont permis l’écriture du projet « animation Carnaval» ; pendant ces séances ont été abordés le choix du jour, le déroulement d’un atelier, la prise de photos, l’élaboration d’une grille d ‘évaluation …
Le choix du jour s’est porté sur le vendredi et s’est déroulé sur une seule journée (alors que le Carnaval dans les communes vit jusqu’au Mercredi des Cendres) permettant ainsi des couleurs diversifiées alors que la tradition impose des couleurs spécifiques à des jours précis. Il était proposé « danse et chant » sur des airs anciens carnavalesques et un défilé pour être au plus près de la tradition, appelé plus communément le « vidé ».
Un premier atelier a permis aux résidents la réalisation de cartes d’invitation destinées à leur famille. Les photographies étaient prises par l’ensemble de l’équipe, l’unité ayant un appareil à disposition.
La grille d’évaluation des résidents (tableau 1) regroupait différents items dont la réponse à la stimulation « mémoire ancienne », des indicateurs de participation « verbale, gestuelle et émotionnelle». Les fonctions cognitives altérées de nos patients n’ont pas permis – par détérioration de la mémoire récente – de s’exprimer ultérieurement sur cette journée, d’où l’absence d’évaluation à distance. Ont été exclus de cette évaluation, les patients grabataires au nombre de 10 et 3 qui – selon leur religion – ne pouvaient accepter cette activité. Le respect de cette entité est important, fortement enracinée dans nos îles, la communauté adventiste ne pouvant festoyer à l’occasion d’une « représentation païenne ».
Il restait 7 participants « potentiels» (en rapport également avec un score NPI soignant « léger ») (5), ceux-ci ayant été contactés par l’animatrice la veille et acceptant le jour même la séance de maquillage- déguisement même si l’oubli de l’invitation était au rendez-vous ! Les patients ont choisi eux-mêmes leur masque (achetés par un membre de l’équipe et financé par une association partenaire) et leur habit alors que la socio-esthéticienne agrémentait les couleurs à l’ensemble.
Alors que la neuropsychologue et la socio-esthéticienne accomplissaient l’évaluation, l’animatrice enchainait les rythmes d’Antan au son des « cha-cha » et autres instruments d’emprunt. À la fin de la manifestation après un défilé dans l’enceinte de l’hôpital, l’équipe récoltait des réponses pour l’enquête de satisfaction auprès des familles.
Également une séance de travail – une semaine plus tard – a donné lieu à une évaluation par les membres de l’équipe afin d’apporter une amélioration au projet pro- posé si besoin. Par la suite un résumé avec photographies est paru dans la « lettre gériatrique » locale, destinée à des professionnels de santé.
Résultats
L’USLD du centre hospitalier du Lamentin accueille 20 résidents (13 hommes et 7 femmes ; 79,6 versus 85,6 ans). La majorité ont une dépendance totale, voire une grabatisation pour 10 d’entre eux. Le girage moyen est de 934 en rapport avec une perte d’autonomie marquée pour toutes les activités au quotidien (tableau 1). Le score du MiniMen- talstates (MMS) étant inférieur à 10 pour 17 patients (tableau 2) reflète des fonctions cognitives sévèrement atteintes. De ce fait notre évaluation s’est limitée à 7 patients, les 13 autres étant soient grabataires ou refusant – pour 3 d’entre elles – cette manifestation en rapport avec des convictions religieuses.
Les 7 résidents étaient plus ou moins autonomes, avec une intégration au sein de l’unité qui pouvait faire espérer leur adhésion le jour de la fête. L’inventaire neuropsychologique (NPI-soignant) (tableau 3) a été mis au point pour être utilisé chez des patients présentant une maladie d’Alzheimer ou un autre type de démence [5,6], mais il peut se révéler utile dans l’évaluation des modifications du comportement survenant aussi dans d’autres pathologies. Leur moyenne d’âge était de 81,5 ans. Il s’agissait de 4 hommes et 3 femmes. Leur MMS moyen était de 5,2/30. La grille d’évaluation des 7 résidents avec différents paramètres (tableau 4) n’a pas fait l’objet d’étude de validation, s’agissant là d’un outil de « terrain » par les soignants portant le projet.
Ainsi la recherche de souvenirs d’Antan, n’a eu aucune réponse fiable et ce que nous appelons mémoire ancienne autobiographique s’est révélée totalement déficitaire (aucune participation). Par contre, 5 ont montré un intérêt en participant activement à la fête (lors de la préparation), exprimant gestuellement et verbalement leur émotion (contentement lors de la fête), 2 restaient passifs pendant leur séance de maquillage et ne relataient pas leur émotion pendant l’activité.
Le point de vue des familles est plus aisément mesurable: 8 familles étaient présentes alors que les 20 avaient été contactées par une carte d’invitation dessinée par les résidents dans un atelier animation programmé un mois avant les festivités. Un rappel téléphonique était fait afin de prévoir une collation selon le nombre de convives. L’enquête de satisfaction est répertoriée dans le tableau 5 et montre une satisfaction globale des parents.
L’évaluation du projet par l’en- semble de l’équipe (annexe 1) s’est faite par l’intermédiaire d’un questionnaire comprenant plusieurs items décrits dans le tableau 6, les points forts étant la motivation d’une équipe, la participation des résidents et la satisfaction des familles. Ensuite des observations en rapport avec les résultats de l’évaluation ont été notées comme « attitudes correctives » pour un futur projet d’animation.
Discussion
Il existe des moments dans le cours de l’existence, qui sont lourds de signification, et qui peuvent être chargés de conséquence pour l’individu. L’entrée en institution [7] d’une personne âgée est un de ceux-là. L’animation s’inscrit alors dans le projet de vie des patients hébergés dans une unité «long séjour» comme repères temporel, social et affectif. Elle est parfois « activités occupationnelles» mais adaptée à des capa- cités restantes, elle est bien au-delà de « lutte contre l’ennui » tout jouant aussi un rôle préventif dans la perte annoncée des fonctions intellectuelles [8]. Alors que l’autonomie s’appréhende à travers des capacités à s’intégrer dans un environnement collectif, le patient atteint de la maladie d’Alzheimer voit par sa pathologie handicapante une dépendance institutionnelle souvent totale. Nous avons souhaité évaluer une animation annuelle qui rencontre des limites par une grabatisation de nos patients, l’altération sévère des fonctions cognitives, le faible échantillon de participants. Mais l’objectif n’est pas une étude scientifique, c’est une action de terrain – rapportée dans cet article – pour répondre à « un temps culturel » et en mesurer son impact [9].
Notre échantillon – si petit soit- il – nous a permis de répondre de façon précise à une démarche qua- lité et de bien-vivre au sein d’une unité de soins longue durée. Le pro- jet «animation» a pu être évalué pour 7 résidents (MMS irréalisable pour 2 d’entre eux) mais nous précisons que – même en l’absence d’évaluation – le déguisement et maquillage ont été faits pour tous les résidents – même alités – l’acceptant. Cette forte implication de l’équipe soignante pour ce « Temps d’enfance » représente bien la signification d’une mémoire collective et culturelle portée aux Antilles qui se retrouve dans un moment fort et institutionnel. Alors que l’un des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer est l’apathie, « insuffler un souffle de vie » est un véritable challenge pour une équipe soignante parfois en souffrance tant la charge de travail est conséquente.
Alors qu’une batterie de tests est disponible pour poser le diagnostic de la maladie d’Alzheimer [10], le NPI version pour équipe soignante (NPI-ES) permet l’évaluation des patients vivant en institution [5,6] et donne des informations pertinentes pour le domaine comportemental. Bien que la gravité et le retentisse- ment ne sont pas détaillés dans le tableau 3, leur cotation en « léger » a permis aux soignants de choisir les 7 patients qui se sont facilement intégrés dans la dynamique du groupe.
La mémoire ancienne n’a pu « être réveillée » par une activité pourtant ancrée depuis les plus jeunes années mais un MMS significativement bas, correspondant à une démence sévère (le diagnostic ayant été posé antérieurement), explique l’absence de réponse aux sollicitations de la neuropsychologue. Par contre, même si les émotions n’étaient pas exprimées, la plupart participaient gestuellement ou verbalement à l’activité.
La fête du Carnaval allie la danse, la musique et le chant…
Nombre d’études ont été rapportées sur ces 3 items : la danse a même été décrite en position assise avec tous les bienfaits de celle-ci: fiches techniques et mise en place d’une formation diplômante à l’appui [11] permette une sécurité de l’activité. Il a aussi été démontré sans ambiguïté que l’exercice physique était associé à une réduction de la mortalité globale et de la morbi-mortalité due à plusieurs affections liées à l’âge. Bien que prouvés, ces bénéfices sont cependant moins manifestes pour les troubles cognitifs ou mémoriels considérés comme pré- curseurs de la maladie d’Alzheimer [12].
Pourtant les effets psychologiques et physiques : communication, sentiments de joie sont régulièrement rapportés par les aides-soignantes après une telle manifestation et notre travail a per- mis de la quantifier (tableau 4). L’intérêt de nos résidents pour les chan- sons d’autrefois est en rapport avec cette mémoire ancienne qui parfois est peu mais encore présente: même si l’évocation des faits anciens par la parole n’a pas été possible pour nos 7 « carnavaliers », leur participation et communication n’ont pas été moindre pour 6 d’entre eux.
Les difficultés rencontrées ont été de « terrain», outre les instruments de musique de base à renouveler régulièrement dans une unité de longue durée (budget annexe ?), les pensionnaires et leurs familles ont eu quelques difficultés à véhiculer des fauteuils roulants dans un hôpital pavillonnaire – ancien – ayant encore trop peu d’accès au handicap. Bien que la notion d’environnement soit d’actualité dans l’accompagnement de la maladie d’Alzheimer et des troubles apparentés, les nombreux articles qui traitent de cette question font rarement le lien entre l’environnement architectural et l’environnement social (13). Pourtant il s’agissait bien là d’une question à aborder – en toute réalité – par un environnement spatial non adapté.
La majorité des familles (96 %) étaient satisfaites -voire pleinement- de l’animation proposée et vivait alors un temps privilégié auprès des leurs. Un environnement familier est un facteur apaisant pour le malade. Par une visite régulière de la famille ou de voisins, outre le caractère social, le patient garde des repères biographiques qui diminuent l’anxiété lié à la maladie elle-même mais aussi au changement important qu’est la vie institutionnelle.
Les familles accompagnées de l’équipe soignante ont procédé dans la plus «pure tradition» à une parade à l’intérieur de l’hôpital, le classique « vidé » connu par l’ensemble de la communauté créole. Habituellement au son des tambours, chaque individu y participe par un pas « endiablé » et « vigoureux »… à cela les familles y ont répondu joyeusement en poussant des fauteuils roulants à la queue-leu-leu parodiant alors le défilé pour la satisfaction de chacun, et aussi des patients et parents des autres services ! La défection du «groupe à pied» a été un point faible de cette manifestation mais la motivation de chacun a su répondre à ce désistement de dernière minute en remplaçant le groupe musical par une « voix d’ensemble » qui a per- mis une ambiance festive très colorée comme la tradition antillaise le véhicule.
Par le biais d’une fête traditionnelle, l’équipe soignante – assistée de proches familiaux – favorise la stimulation de capacités restantes, même si la désorientation temporo-spatiale est parfois au premier plan de cette maladie neuro-dégénérative, l’adhésion des patients à se gri- mer, se déguiser et enfin à faire quelques pas symbolisait en quelques sortes un « retour aux sources » performant.
Également l’évaluation de cette journée (projet, fonctionnement, équipe, famille …) a donné lieu à une rencontre entre soignants, et même si l’absence des intervenants extérieurs a pénalisé l’animation, le dynamisme de l’équipe a rebondi pour faire de cette manifestation une réussite. La diminution des tensions individuelles, la valorisation du travail des agents parfois dénigré pour leur travail difficile… ont été abordées dans cette rencontre post-car- naval. Aussi l’animation – qui n’a de cesse d’améliorer son « approche de terrain » – selon une méthode de travail [9] propre à la Gériatrie proposera dans l’écriture d’un prochain projet l’inclusion des parents.
Conclusion
Indépendamment de la nécessité d’animation dans les institutions, cette expérience de terrain montre que le « prendre soin » de l’animation appartient à part entière à un projet de vie; celui-ci qu’il soit enfoui dans les mémoires ou non, a permis de valoriser des capacités restantes au sein d’un syndrome « aphaso-apraxo-agnosique » progressivement déstructurant. L ‘animation alors donne lieu à un autre regard aussi bien des soignants que des familles et permet un accompagnement de personnes âgées, bien au-delà d’une maladie que l’on soigne.
Par le Carnaval, l’approche diversifiée par les déguisements, maquillage et musique – le défilé clôturant traditionnellement la danse – éveille nombre de sens, bien que le handicap sévère en rapport avec des troubles cognitifs profonds obère une participation globale.
Le travail de l’animation apporte cette vision sociale [6] et humaniste où l’identité, l’histoire personnelle ancrée dans une histoire collective prend du sens dans le cadre d’une démarche d’accompagnement pluridisciplinaire. L’équipe de l’USLD du Lamentin a vécu ainsi une autre approche – plus structurée – avec un travail en amont, une évaluation en aval et une sortie en dehors du service pour mieux « enraciner » la période carnavalesque… la pertinence d’une animation orchestrée par une équipe motivée.
C. CHATOT-HENRY, Y. MOREAU*, C. LEULY-JONCART, E. LARRIBE, S. IVRISSE, C. AUROUX,
A. DIAKITÉ, J. ZÉNON ET L’ÉQUIPE SOIGNANTE DE L’USLD
PÔLE GÉRIATRIQUE DU LAMENTIN – 972 LAMENTIN. (MARTINIQUE). * ANIMATRICE.
Article paru dans « La revue francophone de gériatrie et de gérontologie – Juin 2011 – Tome XVIII – n° 176