» Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » dit le proverbe chinois. La focalisation sur les difficultés des régimes complémentaires du privé ne devrait pas occulter les discriminations qui caractérisent l’ensemble du paysage des retraites en France. Pusillanimité des décideurs, crainte de revivre les grèves de décembre 1995, défense de privilèges, se conjuguent pour repousser sans cesse l’ouverture d’un chantier national pour une réforme de fond qui serait équitable.
L’arithmétique était pitoyable. L’Agirc étant le déficit de 3,2 milliards d’euros en 2013 et aura épuisé ses réserves en 2018 au plus tard. L’Arrco est également en déficit de près de 4 milliards d’euros, mais ses réserves, plus importantes, devrait permettre de tenir jusqu’en 2027.
On peut certes espérer que la croissance se retrouvera les taux des 30 glorieuses, ce qui résoudrait le problème des dispenses le règne de la nécessité de prendre des mesures, mais il s’agit là d »incantations et ce n’est pas notre propos. Oui, le problème est réel. Il concerne les régimes Arrco/Agirc et nous y consacrerons notre première partie, mais comme ces régimes, conjointement avec le régime de la CNAV, rassemblent les deux tiers de l’ensemble des retraités – excusez du peu -=nous évoquerons dans une deuxième partie l’ensemble du paysage de la retraite en France ce qui est loin d’être rassurant en dépit de la satisfaction exprimée par le gouvernement lors de la publication de la dernière réforme des retraites.
En écho à cette vision lénifiante, le premier rapport du Comité de Suivi des Retraites publié le 15 juillet » estime que la situation et des perspectives du système de retraite ne s’éloigne pas de façon significative des objectifs définis par la loi. Il ne formule donc pas de recommandations pour l’année en cours« . Dormez bonnes gens …
I- les régimes Arrco et Agirc
Pourquoi 2 régimes complémentaires pour les salariés du privé ?
L’existence de deux régimes concernant les pensions complémentaires pour les salariés du secteur privé est d’abord un héritage de l’histoire. L’Agirc a été créée en 1947 et l’Arrco, créée en 1961 n’a été généralisée qu’en 1972.
Elle se justifie a posteriori par des modalités différentes concernant les tranches de salaires prise en compte et les taux de cotisation applicables. Voir tableau ci dessous
Contrairement à une idée reçue, l’Agirc n’est pas un régime pour les seuls cadres et l’Arrco un régime pour les seuls non-cadres. En effet :
- Tous les salariés du privé cotisent à l’Arrco sur la première tranche de leur salaire.
- Un nombre important de non-cadres cotisent à l’Agirc sur leur deuxième tranche : article 4bis et 36 des conventions collectives.
Ainsi, les salariés du privé cotisent à au moins les deux caisses, CNAV et Arrco, voire trois pour les cotisations Agirc, voire davantage pour les polypensionnés.
Cotisations Agirc Arrco 2014
Tranche de salaire | Cotisation 2014 | ||||||||
Cotisation | AGFF (1) | CET (2) | Total | ||||||
Arrco | 1 PASS * | 7,63% | 2,00% | – | 9,63% | ||||
Entre 1 et 3 PASS * | 20,13% | 2,20% | – | 22,33% | |||||
Agirc | 1 PASS * | – | 2,00% | 0,35% | 2,35% | ||||
Entre 1 et 4 PASS * | 20,43% | 2,20% | 0,35% | 22,98% | |||||
Entre 4 et 8 PASS * | 20,43% | – | 0,35% | 20,78% |
PASS : Plafond Annuel de la Sécurité Sociale : 37 548 € en 2014
(1) l’association pour la gestion du fonds de financement compense le coût de la retraite à 60 ans. Les cotisations ne génèrent pas de droits.
(2) Cette contribution exceptionnelle temporaire, introduite en 1997 est toujours vivante et ne génère pas de droits
Que sont ces régimes ? Comment fonctionnent-ils ?
Ce sont des régimes à cotisation définie qui fonctionnent en répartition avec des points. Ils publient un indicateur final, le rendement qui est le rapport entre la valeur en pension du point et son coût d’acquisition. La gestion du point de est ainsi au cœur du fonctionnement des régimes.
Cette gestion est assurée par l’utilisation de trois outils : le taux de cotisation (contractuel et d’appel) appliquée à la tranche pertinente de salaire, le salaire de référence qui divise le montant de la cotisation pour donner le nombre de points et la valeur de service qui, multipliée par le nombre de points de déterminer le montant de la pension.
Le tableau ci dessous indique clairement la dégradation du rendement au fil des décennies.
Ce résultat saisissant n’est pas le fruit du hasard. Il résulte des décisions concernant les trois variables citées plus haut. Nous leur consacrerons une présentation succincte ci- dessous.
Evolution du rendement Agirc et Arrco sur quelques dates-repères
Agirc | Arcco T1 | ||||||||
I | II | III | IV | I bis | II bis | III bis | IV bis | ||
1963 | 13,80% | 13,60% | 90% | 15,10% | 5,40% | 14,80% | 100% | 14,80% | |
1980 | 12,95% | 13,90% | 103% | 13,49% | 5,40% | 12,71% | 110% | 11,56% | |
1999 | 16,00% | 9,51% | 125% | 7,61% | 6,50% | 9,21% | 125% | 7,37% | |
2010 | 16,00% | 8,37% | 125% | 6,70% | 6,50% | 8,26% | 125% | 6,61% | |
2014 | 16,00% | 8,19% | 125% | 6,55% | 6,50% | 8,19% | 125% | 6,55% |
Source : lettre de l’observatoire des retraites dans COR 28 janvier 2009 doc. 14 et calcul CdR pour 2010 et 2014
Lire le tableau
I et IIbis : taux moyen contractuel et cotisation de l’année
II et II bis : rendement calculé sur ce taux contractuel
III et III bis : taux d’appel est appliqué sur les cotisations de l’année
IV et IV bis : rendement calculé avec le taux réel d’acquisition des points intégrant le taux d’appel
Tel qu’il est publié par les organismes, le rendement traduit l’incidence des décisions prises par les régimes concernant les variables nous avons citées : le taux de cotisation contractuel, le taux d’appel, le salaire de référence et la valeur de service. Il ne prend pas en compte ni l’AGFF ni la CET (voir tableau), ce qui minorerait encore les rendements.
Cette évolution du rendement s’est traduite très concrètement dans le pouvoir d’achat des retraités. La Confédération Française Des Retraités publie régulièrement l’évolution de celui-ci. Depuis 1992, les baisses pour la CNAV, l’Arrco et l’Agirc ont été, respectivement de 7 %, 10,76 % et de 15,51 % alors que dans le même temps les salaires ont progressé de 15,41 %.
- Les taux de cotisation
Taux contractuels : optionnels à l’origine dans une fourchette (4 à 8% pour l’Arrco, 4 à 16 % pour l’Arrco T2 et 8 à 16% pour l’Agirc), des taux obligatoires ont progressivement été instaurés : 16% pour l’Agirc dès 1999, 7 % pour l’Arrco T2 dès 2005. Pour l’Arrco T1, le taux obligatoire de 6 % introduit en 1999 a laissé la possibilité aux entreprises qui cotisent davantage de maintenir leur pratique. Le taux moyen est ainsi de l’ordre de 6,5 %.
Un taux d’appel : en fonction de leur estimation des besoins, actuels et futurs, les régimes ont la possibilité de majorer, ou minorer, la cotisation appelée. Voir tableau ci dessus. Il convient de noter qu’un taux d’appel supérieur à 100 % enchérit le taux d’acquisition d’un point, mais ne génère aucun droit à la retraite.
Pour mémoire, cotisations supplémentaires : l’AGFF ne génère pas de droits mais compense le coût de la suppression des abattements pour les personnes liquidant leur retraite avant 65 ans en remplissant les conditions du taux plein. La CET a remplacé des dispositifs antérieurs et ne génère pas de droits.
- Le salaire de référence
La cotisation est la ressource du régime qui finance et prestations. Sa division par le salaire de référence, unité propre au régime, détermine le nombre de points des futurs retraités.
S’il évolue comme le salaire moyen, les droits à retraite en suivent la progression. Si en revanche il progresse plus vite que le salaire moyen, le nombre de points est réduit ainsi que l’espérance de pension des cotisants. Il s’agit là d’un outil puissant qui a été largement utilisé et qui a toute chance de l’être encore dans les temps à venir.
- La valeur de service
À la liquidation des pensions, le nombre de points accumulés et multipliés par une autre unité propre à chaque régime : la valeur de service. Comme avec le salaire de référence pour moduler l’acquisition de droits à retraite, les régimes disposent avec la valeur de service d’un autre outil puissant pour, cette fois, moduler le pouvoir d’achat des retraités. Son indexation sur la progression du salaire moyen maintient le pouvoir d’achat des retraités en concordance avec la richesse de la population des actifs. S’il est indexé sur les seuls prix, il entraîne un appauvrissement relatif, mais celui -ci devient réel en cas de gel, voire de réduction.
Pour mémoire, autres prestations des régimes
- Pour compenser la moindre épargne constituée par les familles ayant élevé au moins 3 enfants et les récompenser d’avoir mis au monde de futurs cotisants, ces régimes, comme la plupart des autres, accorde une majoration de pension pour enfants. Les régimes Agirc et Arrco, mais pas les autres, ont déjà réduit cette majoration pour le futur. L’état a surenchéri et a décidé de la fiscaliser et, ce qui a réduit le pouvoir d’achat des retraités et rendu imposable les plus modestes d’entre eux.
- Les pensions de réversion sont versées au conjoint survivant, essentiellement des femmes, pour leur permettre de maintenir un niveau de vie suffisant et ne pas tomber dans la pauvreté. Elles varient sensiblement des régimes à l’autre. Un effort d’harmonisation devrait être fait, mais il est à craindre que celui -ci ne s’exerce qu’à la baisse. La vigilance s’impose.
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Article paru dans le Courrier des retraités Octobre 2014
Lien vers le site : http://www.retraites-ufr.com